Le Comité Social et Économique (CSE) dispose de plusieurs prérogatives pour assurer la protection des droits des salariés et veiller à la bonne marche de l’entreprise. Parmi celles-ci, le droit d’alerte constitue un outil primordial permettant au CSE d’intervenir rapidement, et de manière anticipée, face à des situations jugées préoccupantes. Ce mécanisme, encadré par le Code du travail, vise à protéger les salariés et à prévenir les risques en entreprise.
Dans quels cas le CSE peut-il exercer son droit d’alerte ? Seules des difficultés économiques peuvent-elles justifier le déclenchement du droit d’alerte ? Cet article explore en détail le droit d’alerte, ses différents types et ses conditions de mise en œuvre.
Quel est le cadre légal du droit d’alerte du CSE ?
Le droit d'alerte est issu de la Loi du 1er mars 1984. Il permet au CSE de signaler à l'employeur des situations susceptibles de présenter un danger grave et imminent pour la santé ou la sécurité des salariés, ou encore des faits de nature à affecter gravement la situation économique de l’entreprise. Ce droit est régi par le Code du travail, notamment les articles L. 2312-59 et suivants.
Dans les entreprises de moins de 50 salariés, le CSE peut exercer son droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles des salariés. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, le CSE peut également alerter l'employeur en cas de difficultés économiques ou sociales.
Le droit d’alerte consiste à demander à l’employeur de lui fournir des explications sur une situation jugée préoccupante. La demande est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance du CSE mais le CSE peut également solliciter la convocation d’un CSE extraordinaire (art. L2312-63 et suivants).
Quelles sont les 5 situations susceptibles de déclencher le droit d’alerte du CSE d’une entreprise d’au moins 50 salariés ?
1. Le droit d’alerte en cas de danger grave et imminent
Ce type d’alerte est déclenché lorsque le CSE ou un membre de celui-ci constate l’existence d’un danger grave et imminent pour la santé ou la sécurité des travailleurs (Article L2312-60 du code du travail et article L4131-1 du Code du travail).
La procédure débute par une alerte donnée à l’employeur qui doit immédiatement mener une enquête avec le CSE. Cette alerte doit être datée, signée et indiquer a minima les informations suivantes : postes de travail concernés par la cause du danger constaté, nature et cause du danger, nom des travailleurs exposés.
En cas de désaccord entre l'employeur et le membre du CSE, l'employeur doit réunir les membres du CSE dans un délai de 24 heures. L'inspecteur du travail et la CARSAT doivent être informés et convoqués à la réunion. L'employeur peut être mis en demeure par l'inspecteur du travail de remédier à la situation.
2. Le droit d’alerte économique
Lorsqu’il existe des faits susceptibles d’affecter gravement la situation économique de l’entreprise, le CSE peut déclencher un droit d’alerte économique (Article L2312-63 du Code du travail).
L’objectif de cette intervention précoce du CSE est d’éviter la dégradation économique de la situation de l’entreprise. Cela inclut des situations comme des difficultés de trésorerie (salaires impayés, cotisations sociales non à jour, report d’échéances de prêts…), des pertes importantes, ou des décisions stratégiques qui interrogent (restructuration entraînant de nombreux licenciements…).
Les élus du CSE interrogent lors de la réunion dédiée l’employeur et lui transmettent par écrit les questions sur l’ensemble des sujets qui les préoccupe. L’employeur doit répondre par écrit de manière précise et documentée à l’ensemble des questions dans un délai d’un mois ou à la prochaine réunion du CSE. Si les réponses obtenues ne sont pas satisfaisantes ou confirment le caractère préoccupant de la situation, le CSE, ou la Commission Économique si le CSE en est doté, doit établir un rapport qui sera transmis à l’employeur et au commissaire aux comptes si l’entreprise en a désigné. Pour établir le rapport, le CSE peut se faire assister d'un expert-comptable.
L'expert-comptable produit un rapport qui permettra aux élus la rédaction d’un avis motivé et qui sera joint au rapport. Le rapport doit analyser les préoccupations des élus et peut attirer l'attention sur des mesures susceptibles de contribuer à l'amélioration de la situation qui n'auraient pas été identifiées par l'entreprise. L'avis des élus du CSE est joint au rapport lorsque les membres du CSE décident de le transmettre aux organes de contrôle de l'entreprise.
Dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, le rapport est établi par la commission économique du CSE qui peut se faire également assister par un expert-comptable désigné par les élus du CSE.
Pour mettre en œuvre un droit d'alerte valable, le CSE doit justifier du caractère préoccupant des faits constatés ainsi que de l'insuffisance des réponses de l'employeur par des faits objectifs et précis, de nature à faire peser des inquiétudes sur la situation économique réelle de l'entreprise (Cass. Soc. 18 janvier 2011, n°10-30126).
3. Le droit d’alerte sociale
Les entreprises peuvent avoir recours aux contrats de travail dits précaires : CDD, intérim.
Le CSE doit surveiller le recours à ces contrats de courtes durées et s’assurer que des contrats en CDI n’auraient pas été plus adaptés aux besoins de l’entreprise si la récurrence est fréquente ou ne correspond pas réellement à des besoins temporaires ou à des accroissements temporaires d’activité.
Tous les ans, le CSE est informé par l'employeur sur le recours par l'entreprise aux contrats de travail à durée déterminée et sur le nombre de contrats de missions conclus avec les entreprises de travail temporaire (Article L2312-26 du Code du travail). Dans les entreprises de plus de 300 salariés, le CSE est informé chaque trimestre de l'évolution des effectifs et de la qualification des salariés par sexe (Article L2312-70 du Code du Travail et article L2312-69 du Code du travail).
Si le CSE juge abusif le recours aux contrats précaires, il doit demander des précisions à l’employeur. En cas d’absence de réponse adéquate de l’employeur, le CSE peut exercer son droit d’alerte et solliciter l’inspection du travail (Article L2312-71 du Code du travail).
4. Le droit d’alerte en matière de santé publique et de risques graves pour l’environnement (Article L2312-60 du Code du Travail)
Ce droit permet au CSE d’intervenir lorsque des faits de nature à entraîner un risque grave pour l’environnement ou en matière de santé publique sont constatés dans l’entreprise.
C’est le cas par exemple si les produits ou procédés de fabrication utilisés peuvent impacter la santé et la sécurité des salariés, la santé et la sécurité publique, ou faire peser un risque pour l’environnement.
L’alerte doit être datée, signée et lister les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l'établissement, dont le membre du CSE estime qu'ils présentent un risque grave pour la santé publique ou l'environnement.
L'employeur examine la situation conjointement avec le CSE.
En cas de divergence avec l'employeur sur le bien-fondé de l’alerte du CSE, ou en l'absence de suite donnée dans un délai d'un mois, les membres du CSE peuvent saisir le préfet du département.
5. Le droit d’alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise
Ce droit concerne par exemple des cas de harcèlement moral ou sexuel, de violences physiques, de discrimination ou encore d'abus de faiblesse (Article L2312-59 du Code du travail). Si un salarié de l'entreprise est victime de harcèlement au travail et que cela porte atteinte à sa personne, il est nécessaire d'alerter l'employeur afin qu’une enquête soit mise en œuvre.
En cas de défaillance de l'employeur et si aucune solution n'est apportée pour résoudre le problème, le salarié ou le CSE peut saisir le juge des prud'hommes en référé.
Quelle est la procédure pour mettre en œuvre le droit d’alerte ?
La procédure de mise en œuvre du droit d’alerte varie selon le type d’alerte. Cependant, elle repose sur quelques étapes clés (Article L2312-63 du Code du travail) :
- Constatation : Un membre du CSE ou le CSE dans son ensemble constate une situation problématique, ou des faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation de l’entreprise, de ses salariés ou de l’environnement.
- Information de l’employeur : Les élus du CSE informent formellement l’employeur de la situation. La demande est inscrite de droit à l’ordre du jour de la prochaine réunion du CSE ou dans la demande de convocation d’un CSE extraordinaire.
- Enquête et mesures : L’employeur doit mener une enquête en collaboration avec le CSE et, si nécessaire, mettre en place des mesures correctives.
L’employeur ne peut pas refuser de fournir des explications (Cass. soc. 8-3-1995 n° 91-16.002 et CA Paris 13-7-1988 n° 88-9805).
- Saisine des autorités compétentes : Si l’employeur ne réagit pas de manière appropriée, le CSE peut saisir les autorités compétentes telles que l’inspection du travail, le commissaire aux comptes ou le conseil des Prud’hommes.
Le droit d’alerte s’applique-t-il dans toutes les entreprises ?
L’article L. 2323-78 du Code du travail vise l’entreprise au sens large, sans distinction. Le droit des entreprises en difficultés s’applique à tout groupement doté de la personnalité morale : sociétés, groupement d’intérêt économique, associations, organismes de prévoyance, mutuelles…
Le droit d’alerte peut donc être déclenché dans toute entreprise, dès lors qu’il existe un comité social et économique.
Dans une entreprise dépourvue de CSE, les délégués du personnel ne sont pas titulaires du droit d’alerte, à moins qu’il y ait carence.
Dans une entreprise composée d’établissements distincts, l’alerte ne peut pas être donnée par les comités d’établissements car ils ne sont pas investis de cette prérogative, même s’ils exercent pourtant les prérogatives attribuées au comité d’entreprise. En effet, le texte relatif au droit d’alerte ne vise que le CSE et donc dans ce cas le CSE central, et non le comité d’établissement. L’alerte doit concerner des faits pouvant affecter la situation de l’entreprise, pas uniquement celle de l’établissement. La jurisprudence est constante sur ce point (Cass. soc. 15-6-2022 n° 21-13.312 et 20-9-2023 n° 22-13.391).
Dans les entreprises avec Unité Economique et Sociale, l’UES étant traitée comme une entreprise, le comité de l’UES est titulaire du droit d’alerte.
Quelles sont les conditions de l’alerte par le CSE ?
C’est au CSE d’apprécier le caractère préoccupant ou non des faits constatés. Il ne peut pas être sanctionné pour avoir déclencher son droit d’alerte, sauf en cas d’abus ou si une intention est de nuire à l’entreprise est démontrée par l’employeur.
Le CSE doit apporter des preuves objectives et sérieuses (Cass. Soc. 19 février 2002, n°00-14776).
Il n’existe pas de liste exhaustive des cas dans lesquels le droit d’alerte du CSE peut être déclenché, ce qui offre un large pouvoir au CSE. C’est la jurisprudence principalement qui apporte quelques exemples.
1) Des faits susceptibles d’impacter la situation économique ou la dimension sociale de l’entreprise
La procédure d’alerte peut être déclenchée lorsque le CSE identifie des faits susceptibles d'impacter la situation économique ou la dimension sociale de l'entreprise.
La situation économique ne se limite pas à l’aspect comptable de l’entreprise. La Cour de cassation met aussi l'accent sur l’aspect social, offrant ainsi une flexibilité supplémentaire dans l'application des conditions de l'alerte. L’intérêt des salariés entre en ligne de compte dans l’appréciation de l’existence de faits préoccupants (CA Versailles, 14e ch., 6 nov. 2014).
Si des emplois sont menacés, même si la situation économique n'est pas directement affectée, le CSE est en droit de s'inquiéter et de déclencher la procédure d’alerte (Cass. soc., 19 févr. 2002 et Cass. soc., 29 sept. 2009, n° 08-15035).
Pour le recours au droit d’alerte par le CSE sur des situations ayant un impact économique pour l’entreprise, l’administration a publié une liste d’indicateurs, non limitative, pouvant révéler un caractère préoccupant (Rép. min. n°4136 : JOAN Q. 29 septembre1986) :
- Report d’échéances de prêts
- Non-paiement des cotisations fiscales ou sociales
- Retards dans le paiement des salaires
- Pertes entraînant une diminution de l’actif net
- Refus d’approbation des comptes par l’assemblée générale ou refus de certification des comptes par le commissaire aux comptes.
Le CSE peut également évoquer des difficultés économiques qui se reflètent par exemple au travers :
- D’une baisse importante des commandes sur une durée relativement inhabituelle
- D’un plan de restructuration avec d’importants licenciements.
2) Des faits avérés et d’une certaine gravité
La décision de recourir au droit d’alerte doit reposer sur des éléments objectifs (Cass. soc., 30 juin 1993, n° 90-20158). Les faits invoqués doivent être réels et suffisamment graves.
Le facteur déclenchant du droit d’alerte est constitué par :
- Des faits qui s’inscrivent dans une certaine durée, et non par des évènements juridiques particuliers ;
- La notion de situation jugée préoccupante. Le fait que le comité ne se considère pas rassuré par les explications du chef d’entreprise suffit à permettre la poursuite de la procédure d’alerte.
La notion de gravité fait preuve d’une certaine souplesse d’appréciation par la Cour de cassation. Par exemple, même si la procédure de droit d’alerte doit en principe être déclenchée au plus tôt, la Cour de cassation ne retient jamais ce critère pour conclure que l’exercice du droit d’alerte n’était pas justifié (Cass. soc., 18 janv. 2011).
Quant à l’exigence du caractère préoccupant, si la Cour de cassation a délaissé à un moment cette exigence, elle l’a réintroduit en affirmant que « l’appréciation du caractère préoccupant (...) relève du pouvoir des juges du fond et échappe au contrôle de la Cour de cassation » (Cass. soc., 11 mars 2003, n° 01-13434).
Toutefois, dans un arrêt récent du 7 février 2024, la Cour de cassation a souligné que le CSE doit jouir d'une certaine autonomie dans l'appréciation des situations relevant du droit d'alerte. Il n'est pas nécessaire que les faits soient unanimement reconnus comme préjudiciables pour justifier une alerte, dès lors que le CSE peut raisonnablement les considérer comme tels.
Cela montre une subjectivité assez large du caractère préoccupant des faits justifiant le recours du droit d’alerte par le CSE.
Quels sont les exemples de faits susceptibles ou non de déclencher le droit d’alerte du CSE ?
Le tableau ci-dessous reprend quelques cas ayant conduit à des arrêts de la Cour de Cassation.
Situation en cause dans l’entreprise |
Faits susceptibles de justifier le déclenchement du droit d’alerte du CSE |
Réponses insuffisantes d’un employeur au CSE dans le cadre d’une réorganisation d'une activité au niveau mondial | |
Fermeture d'un laboratoire de prothèses dentaires avec suppressions d'emplois | |
Projet de fermeture d'un atelier dans un contexte de prévisions commerciales pessimistes, de problèmes conjoncturels et de sureffectif |
OUI |
Atteinte aux libertés individuelles, par l'envoi aux responsables d'une société de lettres anonymes comportant des renseignements démontrant que l'auteur avait eu accès à des courriers confidentiels et verrouillés de l'entreprise | |
Risque grave pour la santé publique ou l'environnement, telles une machine dangereuse ou une allergie du salarié lié au poste de travail | |
Préoccupation générale des membres du comité central par rapport à la possible influence sur les orientations futures de l'entreprise de l'association de l'établissement public SNCF avec une société privée, sans démonstration de faits précis justifiant le droit d’alerte |
NON |
La simple présentation d’un projet de fusion, sans démonstration d’un impact négatif pour l’entreprise, est considéré comme un droit d’alerte injustifié |
Le CSE peut-il se faire assister dans le cadre d’un droit d’alerte économique ?
Le CSE peut solliciter une fois par an l'accompagnement d’un expert-comptable, rémunéré à hauteur de 80% par l’employeur et 20% par le budget de fonctionnement du CSE (Article L2315-92 du Code du travail). L’employeur ne peut pas s’y opposer (Cass. soc. 12-3-1991 n° 89-41.941).
Même si le CSE ne peut se faire assister qu'une seule fois par exercice lorsqu'il exerce son droit d'alerte, il peut demander à l’expert-comptable de compléter la mission initiale s’il a connaissance de faits en relation avec ceux qui avaient motivé l'exercice du droit d'alerte initial (Cass. soc. 28-10-1996 n° 95-10.274 et Cass. soc., 29 sept. 2009, no , SA Snecma Services c/ CCE Snecma Services et a.).
La mission de l'expert-comptable ne se limite pas aux faits qui ont engendré l’exercice du droit d'alerte par le CSE mais s'étend à tous les faits de nature à confirmer la situation économique préoccupante de l'entreprise (Cass. Soc. 16 février 2011 n°01-13434).
Dans le cadre du droit d’alerte économique, le CSE peut également :
- Convoquer le commissaire aux comptes
- Solliciter les compétences de 2 salariés, choisis pour leur compétence et en dehors du comité social et économique, de l’entreprise, non membres du CSE, qui auront voix consultative seulement. Ces salariés disposent de 5 heures chacun pour assister le CSE. Ces heures sont rémunérées comme temps de travail (Article L2312-64 du Code du travail).
Il ne faut pas confondre le droit d’alerte économique du CSE et le droit d’alerte du commissaire aux comptes (CAC). Le droit d'alerte du commissaire aux comptes a un champ moins large que celui du CSE. Le CAC peut lancer une procédure d'alerte lorsqu'il relève des faits qui peuvent compromettre la continuité de l'exploitation de la société. Son alerte est portée à la connaissance des tiers.
Le droit d’alerte du CSE est un outil fondamental dans la défense des intérêts des salariés et la prévention des risques en entreprise. Son bon usage permet de détecter et de traiter rapidement les situations dangereuses ou préoccupantes, assurant ainsi une meilleure protection des travailleurs et une gestion plus proactive des risques par l’employeur.
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