Le Travail de Nuit : Définition, droits et pratiques
De nombreux salariés effectuent leurs heures de travail de nuit. Le travail de nuit, considéré par le Code du travail pour les périodes de travail entre 21 heures et 7 heures, est une réalité pour de nombreux secteurs, tels que la santé, la sécurité, les transports, l'industrie, l’hôtellerie, la presse, les médias et les services d'urgence (liste non exhaustive), pour lesquels une continuité des services doit être assurée. Il est aussi largement utilisé dans de nombreux autres secteurs (industrie, logistique, etc.).
Selon le secteur d’activité de l’entreprise, la plage des heures de nuit peut être modifiée. Un accord de branche ou un accord collectif d’entreprise peut en effet permettre d’ajuster les heures de nuit à l’activité spécifique de l’entreprise.
Enfin, la loi Macron du 6 août 2015 a aussi apporté une flexibilité afin que le début de la période de nuit soit reporté pour pouvoir mettre en place le travail en soirée.
Cet article explore en profondeur la définition du travail de nuit, les compensations salariales, et les bonnes pratiques à adopter par le CSE pour bien en assurer le suivi.
Quels sont les éléments qui définissent le travail de nuit et les heures de nuit ?
« Tout travail effectué au cours d'une période d'au moins neuf heures consécutives comprenant l'intervalle entre minuit et 5 heures est considéré comme du travail de nuit. » |
|
Horaires habituels de nuit |
La période de travail de nuit commence au plus tôt à 21 heures et s'achève au plus tard à 7 heures. |
Définition d’un travailleur de nuit |
Tout salarié qui accomplit, au moins 2 fois par semaine, 3h de son temps de travail quotidien entre 21h et 7h. ou Tout salarié qui accomplit, au cours d’une période de référence, un nombre minimal d’heures de travail de nuit. Le nombre minimal d’heures et la période de référence sont fixés par accord collectif de branche. A défaut, l’article L3122-23 du Code du travail prévoit au moins 270 heures sur une période de 12 mois consécutifs (en incluant les congés payés, les heures de formation professionnelle et, pour les représentants du personnel, les crédits d’heures et heures de réunion du CSE). |
Durée maximale |
La durée quotidienne du travail de nuit ne peut dépasser 8h consécutives, dans la limite de 40h hebdomadaires sur 12 semaines, sauf dérogation (Cour de cassation 27/09/2023). |
Compensations |
Sous forme de repos ou de compensation financière. |
Quelles sont les conditions de mise en œuvre du travail de nuit ?
Avant toute mise en œuvre du travail de nuit ou de soirée, l’employeur doit soumettre le projet :
- Au Comité Social et Economique (CSE) sur les questions d’organisation et de gestion de l’entreprise, ainsi que sur les conditions d’emploi et de travail (Article L2312-8 du Code du travail) ;
- Au médecin du travail (Article L3122-10 du Code du travail).
Conformément à l’article L3122-15 du Code du travail, le travail de nuit peut aussi être défini et précisé par accord de branche ou accord d’entreprise.
L’accord doit prévoir :
- Les justifications du recours au travail de nuit,
- La définition de la période de travail de nuit, c’est-à-dire les heures de nuit concernées,
- Une contrepartie sous forme de repos compensateur ou de compensation salariale (majoration des heures de nuit),
- Des mesures destinées à améliorer les conditions de travail des salariés,
- Des mesures destinées à faciliter l'articulation de l’activité professionnelle nocturne des salariés avec leur vie personnelle et leurs responsabilités familiales et sociales, concernant notamment les moyens de transport,
- Des mesures destinées à assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment par l'accès à la formation,
- L'organisation des temps de pause.
A défaut, pour répondre aux besoins spécifiques liés à l’activité d’une entreprise, après consultation des délégués syndicaux et avis du CSE, l’inspecteur du travail peut également autoriser la définition d’une période de travail de nuit différente, avec des heures de nuit différentes, dans le respect de l’article L3122-2.
Ces nouvelles périodes de référence devront donc obligatoirement :
- Être de 9h consécutives,
- Être comprises entre 21 heures et 7 heures,
- Comprendre l’intervalle 21 heures – 5 heures.
Enfin, conformément à l’article L3122-3 du Code du travail, dans le secteur des activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision, de production et d’exploitation cinématographiques, de spectacles vivants et de discothèque, la période de travail de nuit est d’au moins 7 heures consécutives entre minuit et 5 heures.
Le recours au travail de nuit est-il la règle ?
Le recours au travail de nuit est justifié dans le secteur social, médico-social et sanitaire, de par le besoin de prise en charge continue des usagers (Cour de cassation 08/11/2017).
Comme a pu le confirmer la Cour de cassation à plusieurs reprises, le recours au travail de nuit doit être :
- Justifié par la nécessité d’assurer la continuité du service ou de l’activité économique de l’entreprise,
- Exceptionnel afin de prendre en compte la protection de la santé et de la sécurité des salariés.
Par exemple, le recours au travail de nuit n’est pas spontanément reconnu dans les secteurs du commerce alimentaire (Cour de cassation 24/09/2014). Ces secteurs peuvent toutefois recourir, sous certaines conditions, au travail en soirée.
De même, il ne suffit pas qu’un salarié soit ponctuellement amené à travailler de nuit pour être considéré comme travailleur de nuit.
Quelles sont les droits des salariés travailleurs de nuit ?
Le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit constitue une modification significative du contrat de travail et doit faire l’objet d’un avenant. Le salarié peut refuser, sans que cela ne soit constitutif d’une faute ou d’un motif de licenciement (Cour de cassation 16/03/2022).
Si un salarié accepte de travailler la nuit, il sera prioritaire quand il souhaitera reprendre un poste de jour dans le même établissement.
De plus, le travailleur de nuit bénéficie d’un suivi spécifique par la médecine du travail pour apprécier les conséquences sur sa santé et sa sécurité au travail, et pour appréhender les répercussions sur sa vie sociale.
A quoi correspond « le travail en soirée » introduit initialement par la Loi Macron du 6 août 2015 ?
La loi Macron du 6 aout 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a introduit « le travail en soirée ».
Ainsi, par dérogation aux dispositions concernant le travail de nuit défini comme une période d'au moins neuf heures consécutives entre minuit et 5 heures, commençant au plus tôt à 21 heures et s'achevant au plus tard à 7h, l'employeur peut opter pour le travail en soirée.
Le début de la période d’heures de nuit peut alors être reporté à minuit selon l’article L3122-4 du Code du travail. Dans ce cas, le salarié qui travaille entre 21 heures et minuit travaille « en soirée » et non pas « de nuit ».
Conformément à l’article L3122-4 du Code du travail, le travail en soirée ne peut pas être mis en place dans toutes les entreprises.
Plusieurs critères cumulatifs doivent être remplis :
- L’établissement doit être situé dans une zone touristique internationale (ZTI) définie par arrêté,
- L’entreprise doit être un établissement de vente au détail qui met à disposition des biens et des services (magasins de prêt-à-porter, de vente de souvenirs, de cosmétiques et parfumerie...),
- Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à l'employeur peuvent travailler entre 21 heures et minuit.
Tout comme le travail de nuit, selon l’article L3122-19 du Code du travail, le travail en soirée doit être mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou un accord collectif de branche.
Cet accord doit prévoir :
- La mise à disposition d'un moyen de transport pris en charge par l'employeur qui permet au salarié de regagner son lieu de résidence ;
- Les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés
- La fixation des conditions de prise en compte par l'employeur de l'évolution de la situation personnelle des salariés et de leur changement d'avis ;
- Les contreparties au travail en soirée (repos compensateur ou compensation salariale).
Les heures de travail en soirée sont a minima :
- Payées doubles (majoration 200%),
- Ouvrent droit à un repos compensateur équivalent.
Quelle est la contrepartie salariale aux heures de nuit ?
Le Code du travail ne prévoit pas la majoration des heures de nuit. La contrepartie salariale des heures de nuit doit en effet être a minima un repos compensateur.
Toutefois, une majoration de salaire peut également être prévue, sans pouvoir se substituer à la contrepartie en repos (Cour de cassation 16/05/2018).
Le travailleur de nuit bénéficie donc :
- D’un repos compensateur assimilé à du temps de travail effectif, donc intégralement rémunéré ;
- Ce repos compensateur peut être complété d’une compensation salariale prévue par la convention collective ou par accord d’entreprise. Le salarié perçoit alors le paiement des heures de nuit avec une majoration, ou le versement d’indemnités ou de primes.
L’accord collectif ou la convention collective peut prévoir que la contrepartie est accordée pour une période plus restreinte que celle correspondant à la définition légale (Cour de cassation 21/06/2006). Par exemple, une majoration de salaire peut être prévue pour les heures de nuit effectuées entre minuit et 5 heures du matin, et non pour l’intégralité de la période travaillée qui peut s’étaler de 21h à 7h du matin.
A titre d’exemple :
- La convention collective de l’industrie nautique prévoit que les heures de nuit sont majorées à hauteur de 15% ;
- La convention collective du BTP prévoit que les heures de nuit sont majorées à hauteur de 25% ;
- La convention de l’hôtellerie restauration prévoit que les heures de nuit sont majorées à des taux différents selon les horaires : 10% pour les heures de nuit entre minuit et 2h, et 30% pour les heures de nuit entre 2h et 6h.
Les majorations des heures de nuit et les primes versées en compensation du travail de nuit ont le caractère de salaire. A ce titre, elles sont assujetties :
- aux cotisations de sécurité sociale ;
- à la CSG ;
- à la CRDS ;
- à la taxe sur les salaires ;
- à tous les prélèvements dont l’assiette est alignée sur les cotisations de sécurité sociale ;
- à l’impôt sur le revenu.
Quel est le rôle du CSE dans le suivi du travail de nuit ?
Le CSE doit avoir une vigilance particulière sur le travail de nuit dans son entreprise.
- L’application de la compensation salariale prévue : si un accord d’entreprise ou un accord de branche prévoit des horaires de nuit différents de ceux du Code du travail, ou une majoration des heures en complément du repos compensateur, ou une prime mensuelle, etc…, le CSE doit d’assurer de la bonne application de ces règles dans l’entreprise ;
- Les conditions de travail des travailleurs de nuit : les membres du CSE doivent s’assurer que les travailleurs de nuit de l’entreprise disposent de bonnes conditions de travail (temps de travail respectés, mesures de sécurité adaptées, etc…).
Dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, l’article L2312-27 du Code du travail prévoit que l’employeur doit présenter au CSE chaque année :
- Un bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’établissement.
Le travail de nuit est un des points devant y être traités spécifiquement et pour lequel le CSE doit avoir une vigilance particulière.
- Un programme de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail qui fixe la liste détaillée des mesures devant être prises, avec les délais et les coûts estimés pour la mise en œuvre.
Ce programme est basé sur l’évaluation des risques faite par l’employeur ainsi que sur l’analyse des risques professionnels établie par le CSE.
Le CSE peut solliciter un ordre de priorité des mesures, ainsi que l’adoption des mesures supplémentaires.
Ces documents doivent être conservés et tenus à la disposition de l’inspection du travail et des agents du service prévention de la Sécurité Sociale.
Le procès-verbal de cette réunion du CSE doit être joint à tout dossier de demande d’obtention de marchés publics, de participations publiques, de subventions, de primes ou d’avantages fiscaux ou sociaux.
CE Expertises, cabinet d’expertise comptable spécialiste du CSE, peut vous accompagner dans la préparation de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise et plus spécifiquement sur l’analyse du travail de nuit dans votre entreprise. Contactez-nous pour en discuter !
Pour aller plus loin :