Lorsqu’une entreprise engage une procédure de licenciement collectif donnant lieu à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) (ou en Ile de France, la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS)) exerce un contrôle étroit sur la régularité et le contenu du dispositif présenté.
Le contrôle administratif des procédures de licenciement collectif pour motif économique s’exerce à deux niveaux : lors de la phase d’information-consultation (I/C) du CSE, et au moment de l’homologation ou de la validation du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) par la DREETS.
La DREETS dispose d’un pouvoir d’injonction pour demander à l’entreprise de fournir des éléments d’information souhaités par les représentants du personnel ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes ; mais aussi d’un pouvoir de formuler des observations et des propositions sur le déroulement de la procédure et les mesures sociales.
Dans ce cadre, les DREETS adressent à l’entreprise une lettre d’observation, avec copie transmise aux représentants du personnel. Bien que dépourvues de caractère contraignant, ces lettres jouent un rôle important dans la régulation des procédures collectives. Elles constituent un indicateur des attentes de l’administration et un outil précieux pour les élus, en particulier lorsqu’ils sont assistés par un expert-comptable. Cet article se focalise sur ces formulations d’observations et de propositions de la part des DREETS.
1) Les lettres d’observation : un contenu type des attentes administratives
Les lettres d’observation, bien que personnalisées, présentent une trame récurrente. Elles rappellent tout d’abord les principes de base du droit de l’information-consultation : loyauté, sincérité, et exhaustivité de l’information (art. L.2312-8 et L.1233-30 du Code du travail).
Elles attirent ensuite l’attention sur des points de vigilance concrets :
- La justification du projet économique et l’examen sérieux des alternatives (art. L.1233-61) ;
- La pertinence de la définition des catégories professionnelles retenues et la précision des critères d’ordre des licenciements (art. L.1233-5) ;
- La pertinence et la proportionnalité des mesures d’accompagnement prévues (formation, reclassement, indemnités, mobilité) ;
- Le respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques et de protection de la santé des salariés.
- Le bon déroulement de la procédure d’information-consultation.
En ce sens, ces lettres constituent en quelque sorte un mode d’emploi du déroulement de la procédure à suivre par l’entreprise.
Par ailleurs, pour apprécier la qualité et la proportionnalité des mesures, la DREETS s’appuie notamment sur le budget détaillé du PSE présenté par l’employeur.
Un tableau type peut ainsi récapituler, pour chaque mesure d’accompagnement (cabinet de reclassement, congé de reclassement, formations, aides à la mobilité, indemnités, etc.), le coût individuel et global, ainsi que les observations associées. Ce chiffrage permet :
- A l’administration d’évaluer la conformité du plan aux moyens de l’entreprise et du groupe ;
- Au CSE d’identifier les marges de progression possibles et d’appuyer ses revendications.
Mesures d'accompagnement prévues par l'employeur | Montant individuel HT/TTC | Montant global HT/TTC | Observations |
Cabinet (PIC, cellule de reclassement) | |||
Congé de reclassement | |||
Formations d’adaptation | |||
Formations de reconversion | |||
VAE | |||
Aide à la création ou reprise d'entreprise | |||
Indemnités différentielles de salaire | |||
Aides à la mobilité | |||
Aides incitatives (employeurs, salariés) | |||
Autres aides | |||
Total du budget accompagnement | |||
Indemnités légales ou conventionnelles | |||
Indemnités supra-légales (le cas échéant) | |||
Total du budget indemnités | |||
Budget total du PSE | |||
Nombre de salariés concernés par le PSE | |||
Budget du PSE par salarié |
Cet outil de transparence budgétaire constitue donc un élément central du contrôle de la DREETS, et un levier de négociation pour les représentants du personnel.
2) Une valeur juridique indirecte mais un impact réel pour l’entreprise
Ces lettres d’observation montrent que la DREETS n’est pas seulement un organe de contrôle « en bout de chaîne », au moment de l’homologation ou de la validation du PSE. Elle peut intervenir tout au long de la procédure, en formulant des observations ou en proposant des ajustements concrets.
Pour les représentants du personnel, il est donc stratégique de maintenir un dialogue régulier avec l’administration du travail. Ils peuvent s’appuyer sur ses observations pour renforcer leurs arguments en séance, mais également solliciter son intervention afin d’obtenir des informations manquantes ou de faire respecter les obligations légales par l’employeur.
Même si les observations de la DREETS ne s’imposent pas formellement à l’employeur, leur portée est manifeste :
- Pour la direction, elles signalent les fragilités du dossier, susceptibles de compromettre la validation ou l’homologation du PSE ;
- Pour les élus du CSE, elles renforcent leur argumentation en reprenant à leur compte des observations formulées par l’autorité administrative ;
- Pour le juge administratif, elles constituent un indice en cas de contrôle contentieux. Ainsi, le Conseil d’État a jugé que l’administration devait vérifier si les observations adressées avaient été prises en considération par l’entreprise (Conseil d’Etat, 7 octobre 2015, n° 383481).
3) Le rôle central de l’expert-comptable du CSE
L’intervention de l’expert-comptable mandaté par le CSE (art. L.1233-34) prend donc tout son sens. Outre les apports liés à la mission même, trois apports principaux peuvent être relevés :
- Une interprétation technique : l’expert éclaire le contenu des lettres d’observation, en traduisant les remarques administratives en enjeux concrets pour l’entreprise et les salariés ;
- Une mise en perspective économique et sociale : il confronte les observations de la DREETS aux données financières et sociales de l’entreprise, en évaluant la sincérité des hypothèses, la réalité des marges de manœuvre et la pertinence des mesures de reclassement envisagées ;
- Un effet levier dans la négociation : en documentant de manière chiffrée les marges de manœuvre, l’expert renforce la capacité du CSE à exiger des améliorations du PSE.
Ainsi, les lettres d’observation et les analyses de l’expert-comptable se complètent : les premières fixent le cadre attendu, et les secondes en démontrent l’application, la faisabilité et les marges de manoeuvre.
4) Sélection de recommandations issues de lettres d’observations de la DREETS
Thématiques | Observations de la DREETS | Attentes et/ou recommandations implicites | Impact pour le CSE |
---|---|---|---|
Transmission des informations | Retards ou insuffisances dans la communication des documents : convocations, notes économiques, PV CSE, rapport d’expert | Utiliser le portail RUPCO, mise à jour régulière et transmission simultanée aux élus et à la DREETS | Le CSE dispose d’un levier pour accéder à une information complète sur le projet soumis |
Informations économiques et financières | Informations avec des lacunes : périmètre du groupe mal défini, données financières incomplètes, absence de consolidation | Fournir des bilans, des comptes de résultats, des organigrammes, le détail des moyens financiers du groupe, le CA et les résultats sur plusieurs années | Le CSE et son expert doivent réclamer toutes les données financières consolidées pour évaluer la suffisance des moyens mis en œuvre pour le PSE |
Participation du groupe | Doutes sur la contribution financière du groupe | L’entreprise doit solliciter le groupe et apporter la preuve de cette démarche | Le CSE peut appuyer la demande d’abondement par le groupe pour renforcer le PSE |
Catégories professionnelles | Trop de catégories éclatées, catégories unipersonnelles, intitulés incompréhensibles (parfois en anglais), manque de justification | Regrouper les postes selon les critères jurisprudentiels, expliquer la méthode retenue, annexer un tableau détaillé | Le CSE peut contester une construction de catégorie défavorable |
Critères d’ordre | Clarification demandée sur des zones d’emploi et des catégories concernées | Appliquer les critères (ancienneté, charges de famille, situation sociale, compétences) dans le respect des règles | Le CSE doit s’assurer que les critères d’ordre sont équitables et correctement appliqués |
Reclassement interne | Listes incomplètes ou mal actualisées, modalités imprécises | Diffuser régulièrement la liste des postes, préciser les critères de départage, accompagner par de la formation | Le CSE peut surveiller la qualité des offres et demander des formations adaptées |
Reclassement externe et mesures d’accompagnement | Budget global du PSE non détaillé, mesures jugées insuffisantes | Chiffrer le coût par salarié, détailler les actions (formation, mobilité, congé de reclassement, etc.) | Le CSE peut demander un renforcement des moyens en fonction des capacités financières du groupe |
Santé, sécurité et conditions de travail | Impact insuffisamment analysé : charge de travail, réorganisation, outils | Décrire l’organisation cible, mesurer les risques RPS | Le CSE peut obtenir des informations détaillées sur les charges de travail à venir et un renforcement des mesures de prévention |
Procédure de consultation du CSE | Calendriers trop serrés, manque de réunions complémentaires, rapport d’expert non calé | Allonger le calendrier, fixer une date de remise du rapport d’expert (15 jours avant la fin) | Le CSE peut exiger des délais réalistes pour émettre un avis motivé |
Obligation de recherche de repreneur | Obligation discutée ou jugée non respectée : fermeture de site, cessation d’activité | Justifier la démarche de recherche de repreneur, présenter les résultats | Le CSE peut s’appuyer sur la DREETS pour exiger une recherche sérieuse |
5) Exemples de remarques formulées dans des lettres d’observations de DREETS
Nous donnons ci-dessous des extraits de 4 lettres d’observation.
Exemple 1
Après examen des documents transmis (note économique, projet de PSE, document relatif à la santé et sécurité, note sur la recherche de repreneurs), l’administration formule les observations suivantes :
« 1. Informations économiques : les données fournies apparaissent incomplètes. L’entreprise doit préciser les résultats financiers sur plusieurs exercices et compléter l’organigramme du groupe, y compris à l’international.
2. Moyens du groupe : les mesures du PSE doivent être appréciées au regard des moyens de l’ensemble du groupe. La direction devra apporter la preuve de la sollicitation du groupe en vue d’un abondement financier.
3. Organisation et emplois concernés : la présentation actuelle ne permet pas d’identifier clairement les postes supprimés. Une description détaillée par direction et par service est attendue.
4. Procédure d’information-consultation : le calendrier prévu semble trop restreint pour permettre au CSE et à son expert de rendre un avis éclairé. L’administration invite l’employeur à prévoir des réunions complémentaires et à préciser la date de remise du rapport d’expertise.
5. Santé, sécurité et conditions de travail : les impacts de la réorganisation sur les conditions de travail et les risques psychosociaux doivent être davantage documentés.
Ces observations sont formulées conformément aux articles L.1233-57 et suivants du Code du travail. Elles visent à renforcer la qualité du dialogue social et la conformité du projet aux obligations légales ».
Exemple 2
Objet : Observations sur votre projet de réorganisation.
L’administration a été saisie de votre projet de réorganisation comprenant 80 suppressions d’emplois. Les documents transmis prévoient la fermeture d’un site et une redéfinition de l’organisation.
« Nos observations portent sur les points suivants :
1. Catégories professionnelles : la classification proposée est trop éclatée et comporte des catégories unipersonnelles. L’administration vous invite à revoir leur définition afin qu’elles correspondent aux critères jurisprudentiels.
2. Critères d’ordre : des précisions sont nécessaires sur le périmètre géographique et sur la pondération retenue.
3. Reclassement interne : la liste des postes disponibles apparaît incomplète. Elle doit être actualisée et communiquée régulièrement au CSE.
4. Recherche de repreneur : cette obligation doit être menée de façon sérieuse et documentée, notamment pour les sites susceptibles d’être cédés.
Nous vous rappelons que ces éléments conditionnent la régularité de la procédure d’information-consultation et l’homologation du plan ».
Exemple 3
Objet : Observations relatives au projet de plan de sauvegarde de l’emploi
« Il ressort des échanges que certains compléments sont nécessaires :
1. Informations économiques et financières : les résultats consolidés du groupe doivent être transmis, ainsi que les prévisions financières à moyen terme.
2. Budget du PSE : le montant global et le coût moyen par salarié doivent être précisés. L’administration attend également la preuve que le groupe a été sollicité pour participer au financement.
3. Organisation interne : les documents doivent décrire de manière détaillée l’organisation cible et les conséquences pour chaque direction ou service.
4. Calendrier : la date de remise du rapport d’expertise doit être clairement fixée, au moins quinze jours avant la clôture de la procédure.
5. Santé et sécurité : une analyse spécifique des impacts sur les conditions de travail est attendue, incluant la charge de travail, les outils et la prévention des risques psychosociaux.
Ces éléments doivent être intégrés dans la note économique consolidée et transmis au CSE et à l’administration via le portail RUPCO ».
Exemple 4
Objet : Observations administratives sur votre projet de réorganisation
« Après examen des documents transmis dans le cadre de votre projet, l’administration souhaite formuler les remarques suivantes :
1. Informations transmises au CSE : certaines données manquent pour que le comité puisse rendre un avis éclairé. Il convient de compléter les éléments sociaux et financiers.
2. Moyens de l’entreprise et du groupe : conformément à l’article L.1233-57-3 du Code du travail, l’administration vérifiera que les moyens disponibles sont mobilisés à un niveau suffisant.
3. Procédure de consultation : le calendrier doit être ajusté afin de garantir un temps suffisant aux élus et à leur expert.
4. Mesures d’accompagnement : elles doivent être proportionnées et diversifiées (formation, mobilité, congé de reclassement, mesures financières).
5. Recherche de repreneur : elle doit être menée de façon active et faire l’objet d’une information transparente auprès du CSE.
Nous vous invitons à intégrer ces observations avant la dernière réunion du CSE afin de sécuriser la procédure ».
En conclusion, les lettres d’observation des DREETS s’affirment donc comme un instrument de régulation indirecte des PSE. Sans créer de règles, elles orientent la procédure, fixent les attentes administratives et influencent le rapport de force entre la direction et les représentants du personnel.
Pour le CSE, elles représentent un outil stratégique dont la portée peut être démultipliée par l’assistance de l’expert-comptable, qui en offre la traduction économique et sociale.
Dans ce jeu tripartite, l’expert-comptable du CSE occupe donc une place essentielle : il donne du contenu et du poids aux remarques de l’administration, et contribue à faire de ces lettres un véritable levier de conformité et de négociation.
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