L’ANI sur les séniors : enjeux et mesures à anticiper pour les CSE

10 février 2025

Le 14 novembre 2024, les partenaires sociaux ont conclu 3 Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI) portant sur :

  1. L’assurance chômage
  2. L’emploi des salariés expérimentés
  3. L’évolution du dialogue social.

Ces accords, signés par des organisations patronales et syndicales représentant plus de 30 % des suffrages exprimés au niveau interprofessionnel, ont été validés et ne peuvent plus faire l’objet d’une opposition majoritaire.

Leur impact réel soulève plusieurs interrogations, notamment en raison de leur manque de mesures contraignantes.

L’avis d’extension de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur l’emploi des séniors a été publié au Journal Officiel du 22 janvier 2025, marquant ainsi son entrée en vigueur pour l’ensemble des entreprises concernées.
Il s’inscrit dans une démarche visant à améliorer l’employabilité et les conditions de travail des salariés expérimentés, alors que l’âge légal de départ à la retraite a été relevé à 64 ans.
Bien que ce texte s’inspire largement des principes de l’accord avorté d’avril 2024, le projet d’ANI introduit des avancées visant à rendre la retraite progressive plus attractive. Il prévoit notamment que les salariés pourront en bénéficier dès 60 ans, soit quatre ans avant l’âge légal de départ à la retraite, contre deux ans actuellement.

L’ANI ne confère pas aux salariés un droit automatique à la retraite progressive, les employeurs conservant la possibilité de refuser, à condition de justifier par écrit que cette modalité de passage à temps partiel n’est pas compatible avec les impératifs économiques de l’entreprise.
Le texte impose désormais une obligation d’information du CSE sur l’application de la retraite progressive au sein de l’entreprise, renforçant ainsi le suivi par les représentants du personnel.

Emploi seniors

1. L’adaptation de l’assurance chômage aux nouveaux délais de retraite

Cet accord vise à renforcer l’emploi des séniors dans un contexte de recul de l’âge légal de départ à la retraite (64 ans) et d’allongement de la durée de cotisation (43 ans).

Il repose sur 3 principaux axes :

  • Allongement de la période de référence pour l’affiliation : les salariés de 55 ans et plus verront leurs périodes de travail prises en compte sur 36 mois au lieu de 24 mois ;
  • Extension des durées d’indemnisation après application du coefficient 0,75 :
    • 22,5 mois pour les demandeurs d’emploi de 55 et 56 ans ;
    • 27 mois pour les 57 ans et plus (contre 18 mois auparavant).
  • Recul progressif de l’âge permettant de maintenir l’allocation jusqu’à la retraite à taux plein, en cohérence avec le report de l’âge légal de départ à la retraite (64 ans d’ici 2030) ;
  • Suppression de la dégressivité de l’Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) dès 55 ans (au lieu de 57 ans auparavant) ;
  • Possibilité d’une prolongation de l’indemnisation en cas de formation en cours de parcours.

Mais si cet avenant ajuste l’assurance chômage aux nouvelles contraintes de l’âge de la retraite, il n’apporte pas de solutions concrètes pour relancer l’emploi des séniors, dont le taux d’activité reste parmi les plus bas en Europe.

2. Une obligation de négocier tous les 3 ans dans les entreprises de plus de 300 salariés

Qui est concerné ?

Les entreprises de plus de 300 salariés ;
Les branches professionnelles, qui doivent proposer un plan d’action type pour les PME.

Thèmes obligatoires de négociation

La négociation doit s’appuyer sur un diagnostic, reposant notamment sur la BDESE et le DUERP.

  • Le recrutement des seniors et l’amélioration de leur accès à l’emploi ;
  • Le maintien dans l’emploi et l’aménagement des fins de carrière ;
  • La transmission des savoirs et des compétences (mentorat, tutorat, mécénat de compétences).

Thèmes facultatifs de négociation

  • L’accès des seniors à la formation et à l’évolution professionnelle ;
  • L’impact des transformations technologiques sur les métiers ;
  • L’organisation du travail et la qualité de vie des salariés expérimentés.

 

En cas d’échec des négociations

L’entreprise doit établir un plan d’action unilatéral, après consultation du CSE.

Exemples d’accords existants

  • SNCF : Accord prévoyant une formation obligatoire pour les salariés de 55 + ans sur l’adaptation aux nouvelles technologies ;
  • Danone : Plan d’action pour favoriser l’intergénérationnel avec des binômes jeunes-seniors sur les projets.

 

Bien que les grandes entreprises aient donc l’obligation d’ouvrir des négociations, elles ne sont pas obligées d’aboutir à un accord, ce qui risque de limiter l’impact réel de cette mesure.

3. La création du CDI de Valorisation de l’Expérience (CVE)

Le CDI de Valorisation de l’Expérience (CVE) est expérimental sur la période de 2025 à 2030. L’objectif est de favoriser l’embauche des séniors et leur transmission de savoirs.

Le CVE est :

  • Réservé aux demandeurs d’emploi de 60 ans et plus, ou 57 ans par accord de branche ;
  • Exonéré de la contribution patronale spécifique (30 %) sur l’indemnité de mise à la retraite ;
  • Le contrat prend fin automatiquement à l’âge de la retraite à taux plein.

Exemple d’application :

  • Dans l’industrie, des primes de tutorat sont associées à ce contrat pour encourager la transmission des compétences.

Si cette mesure peut inciter les employeurs à recruter des seniors, elle ne compensera pas l’un des principaux freins au recrutement des plus âgés : leur coût salarial.

4. L’obligation d’entretiens de suivi de carrière à 45 et 60 ans

A 45 ans

Entretien de mi-carrière pour anticiper l’usure professionnelle et les besoins en formation ;

Peut être précédé d’un bilan médical de prévention.

A 60 ans

Entretien de fin de carrière pour préparer la transition vers la retraite ;

Discussion sur le passage en retraite progressive ou temps partiel de fin de carrière.

Exemple d’application

Air France : Un programme de reconversion interne pour les salariés de + 55 ans souhaitant changer de poste avant leur retraite.

 

5. L’accès élargi à la retraite progressive et au temps partiel de fin de carrière

Le recul de l’âge d’accès à la retraite progressive de 62 à 60 ans :

  • Permet aux salariés seniors de travailler à temps partiel tout en touchant une fraction de leur retraite ;
  • L’employeur ne peut refuser sans justification écrite qui précise que la transition en retraite progressive est jugée incompatible avec l’activité de l’entreprise.

Création du temps partiel de fin de carrière :

  • Suppression de la durée minimale de travail de 24 heures/semaine pour pouvoir en bénéficier ;
  • Permet aux salariés de réduire progressivement leur activité, avec compensation financière de l’employeur ;
  • Applicable jusqu’à la retraite à taux plein ;
  • Suivi du recours à la retraite progressive dans le bilan social de l’entreprise et lors des consultations du CSE.

Ces dispositifs sont incitatifs mais ne constituent pas un droit opposable aux employeurs. En l’absence de mesures contraignantes, l’impact sur le maintien en emploi des seniors reste incertain.
Exemple d’application :

  • SNCF : Maintien du salaire à 90 % pour les salariés en retraite progressive.

6. Exemples d’accords séniors

Groupe Thales : Accord sur l'emploi des séniors
Thales a instauré un accord visant à aménager la fin de carrière de ses salariés seniors.
Les mesures incluent :

  • Temps Partiel Sénior à 80 % : Les salariés peuvent réduire leur temps de travail à 80 % tout en percevant 85 % de leur rémunération. Cette disposition est accessible jusqu'à trois ans avant l'âge de la retraite à taux plein.
  • Temps Partiel Sénior à 50 % : Pour les salariés confrontés à des situations de pénibilité, une réduction du temps de travail à 50 % est possible, avec une rémunération portée à 65 %. Cette mesure s'applique dans les 12 mois précédant la retraite.

Thales s'engage à maintenir les droits à la retraite des salariés concernés comme s'ils étaient à temps plein, en prenant en charge les cotisations patronales et salariales correspondantes.

Safran : Accord Senior 2021
Safran a mis en place un accord permettant aux salariés seniors d'aménager leur fin de carrière grâce au « Temps Partiel Aidé » (TPA).
Les principales dispositions sont :

  • Temps partiel aidé : Les salariés ayant au moins 5 ans d'ancienneté peuvent réduire leur temps de travail à 60 %, 70 % ou 80 % de leur horaire de référence, tout en bénéficiant d'une majoration salariale de 10 %. Ainsi, une réduction à 80 % du temps de travail correspond à une rémunération de 90 % du salaire à temps plein.
  • Maintien des droits à la retraite : L'entreprise prend en charge les cotisations de retraite sur la base d'un salaire reconstitué à temps plein, sous réserve que le salarié cotise également sur cette base.
  • Indemnité de départ : L'indemnité de départ à la retraite est calculée sur la base du salaire à temps plein reconstitué.

7. Le rôle clé du CSE dans l’application de l’ANI

Suivi des conditions de travail des séniors

Le CSE doit veiller à :

  • La prévention des risques d’usure professionnelle ;
  • L’adaptation des postes de travail aux besoins des salariés seniors ;
  • L’accès équitable aux formations et promotions.

Exemple d’application :

  • Blanc Aero Industries : Passage automatique des salariés de plus de 55 ans en horaires de jour, sans baisse de rémunération.

Suivi des indicateurs liés aux sénior

L’index senior n’a pas été rendu obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés après une décision du Conseil Constitutionnel. Mais le CSE peut s’en inspirer pour suivre :

  • Taux d’emploi des seniors ;
  • Accès aux formations et mobilités internes ;
  • Taux de départs en rupture conventionnelle ou mise à la retraite.

Exemple d’application :

  • Orange : Mise en place d’un plan de formation obligatoire pour les + 55 ans après des résultats préoccupants à l’Index sénior.

Prévention des discriminations liées à l’âge

Le CSE peut :

  • Exiger un suivi des licenciements et promotions des séniors ;
  • Vérifier l’équité des formations et des évolutions de carrière ;
  • Demander des actions spécifiques contre les stéréotypes liés à l’âge.

Exemple d’application :

  • Danone : Indemnité spécifique et accompagnement RH pour les séniors en fin de carrière.

 

Ce qu’il faut retenir les 3 priorités du CSE doivent être :

  • Exiger des négociations sur l’emploi des seniors et non de simples discussions ;
  • Analyser les résultats de l’Index Senior et proposer des actions correctives en cas de déséquilibre ;
  • Surveiller l’adaptation des conditions de travail et l’accès aux dispositifs de fin de carrière.

Si cet ANI constitue une avancée sur plusieurs points, son efficacité dépendra fortement de son application par les entreprises et de la capacité des CSE à s’impliquer dans les négociations et le suivi des mesures. Les négociations de 2025 sur l’amélioration du dialogue social et la valorisation des parcours syndicaux pourront être un moment clé pour renforcer son efficacité.
Avec ces nouvelles obligations, les CSE doivent se mobiliser pour garantir un cadre de travail adapté aux seniors. CE Expertises, cabinet d’expertise comptable spécialisé dans l’accompagnement des CSE, peut vous aider pour la négociation d’un accord sénior dans votre entreprise. Contactez-nous pour en discuter.