La rupture conventionnelle collective (RCC), introduite par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, est un dispositif permettant aux entreprises de supprimer des postes par des départs volontaires, sans recourir aux licenciements pour motif économique. Mais attention, la RCC ne peut pas être utilisée pour contourner les obligations liées aux licenciements économiques. C’est le cas par exemple en cas de fermeture d’un site complet. Cet article reprend, en 10 questions, les principales règles de mise en œuvre de la rupture conventionnelle collective, ainsi que le 1er bilan qui en est fait.
1. Quel est le cadre juridique de la Rupture Conventionnelle Collective ?
- La Rupture Conventionnelle Collective (RCC) est régie par les articles L.1237-17 à L.1237-19-10 du Code du travail.
- Elle intervient principalement dans un contexte de réorganisation de l’entreprise, ou d’évolution des compétences, en dehors de difficultés économiques. Si elle intervient alors que l’entreprise a des difficultés économiques, elle ne doit pas être utilisée pour contourner les règles du licenciement économique ou un plan de sauvegarde à l’emploi.
- La particularité de la RCC réside dans son volontariat : aucun salarié ne peut être contraint de partir.
- Un accord collectif définissant les modalités de la rupture d’un commun accord des contrats de travail doit être négocié avec les représentants syndicaux et validé par l’administration (DREETS).
2. Quelle est la procédure de mise en place de la Rupture Conventionnelle Collective ?
La mise en œuvre d’une RCC repose sur la conclusion d’un accord collectif, qui doit être signé par des syndicats représentant au moins 50% des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, peu importe le nombre de votants. Dans le cas contraire, l’accord doit être validé par référendum des salariés, à la majorité des suffrages exprimés.
En l’absence de délégué syndical :
- Dans les entreprises de moins de 20 salariés sans CSE, l’accord collectif peut être ratifié par les 2/3 des salariés ;
- Dans les entreprises de 11 à 49 salariés avec CSE, l’accord collectif peut être négocié avec des salariés mandatés par des organisations syndicales représentatives ou par validation des membres titulaires du CSE, représentant 50% des suffrages exprimés aux dernières élections ;
- Dans les entreprises de plus de 50 salariés, l’accord collectif peut être signé par un ou plusieurs salariés mandatés par une organisation syndicale représentative et approuvé par les salariés, à la majorité des suffrages exprimés. En l’absence de salariés mandatés, l’accord doit être signé par les membres du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections.
3) Que vérifie la DREETS dans l’accord collectif de Rupture Conventionnelle Collective ?
L’administration doit être prévenue de la mise en œuvre d’une rupture conventionnelle collective dès le début de la démarche. Une fois finalisé, l’accord collectif doit faire l’objet d’une validation par l’administration (DREETS).
Lors de son contrôle, la DREETS effectue un contrôle strict sur :
- La conformité de l'accord à l'article L.1237-19 du Code du travail, c'est-à-dire l’absence de recours au licenciement pour atteindre les objectifs fixés en termes de suppression d'emploi ;
- Les mentions obligatoires, telles que :
- Le nombre maximal de départs envisagés ;
- Les conditions d’éligibilité ;
- Les modalités de départage des volontaires ;
- Les indemnités versées, qui ne peuvent être inférieures à l’indemnité légale de licenciement. - Les mesures prévues pour faciliter l'accompagnement et le reclassement externe des salariés, telles que :
- Le congé de mobilité ;
- Les actions de formation ;
- Les actions de soutien à la création d'activités ou à la reprise d'activités existantes ; - Le respect de la procédure d'information du CSE.
L'autorité administrative notifie ensuite à l’employeur la décision de validation dans un délai de 15 jours à compter de la réception. L’absence de réponse vaut acceptation.
En cas d’acceptation de l’accord collectif de RCC, l’employeur doit informer les salariés par tout moyen, et porter à leur connaissance la décision de validation et les voies et délais de recours.
En cas de refus, si l’employeur souhaite reprendre le projet, il devra présenter une nouvelle demande auprès de la DREETS et informer à nouveau le CSE en amont.
Dans le mois qui suit la fin de la mise en œuvre des mesures prévues par l’accord de RCC, un bilan doit être adressé à la DREETS, conformément à l’arrêté du 8 octobre 2018.
Ce bilan doit contenir :
- Le nombre de départs volontaires dans le cadre de la RCC ;
- Le nombre d’embauches depuis la RCC ;
- Les mesures de reclassement mises en œuvre, avec le détail du nombre de salariés concernés ;
- La situation des salariés à la date de la rupture de leur contrat de travail.
4. Quel est le rôle du CSE dans la Rupture Conventionnelle Collective ?
Les modalités d’information au CSE doivent être définies dans l’accord. Le procès-verbal de la réunion, qui reprend les suggestions et propositions des représentants du personnel, doit être communiqué à l’administration.
En règle générale, en plus de l’information, l’accord collectif ajoute l’obligation légale de consultation régulière du CSE sur le suivi de l’accord, conformément à l’article L.1237-19-7 du Code du travail.
Dans tous les cas, dès lors que le projet comporte des mesures ayant pour effet d’affecter les effectifs de l’entreprise, une information-consultation préalable du CSE est obligatoire, conformément à l’article L.2312-8 du Code du travail.
5. Quels sont les salariés concernés par la Rupture Conventionnelle Collective ?
La loi ne fixe pas les modalités de sélection des salariés pouvant entrer dans le champ de la rupture conventionnelle collective. C’est l’accord collectif qui doit fixer les conditions pour qu’un salarié se porte candidat à la procédure. La seule précision étant que l’accord du salarié à la rupture conventionnelle collective doit faire l’objet d’un écrit.
Dans l’accord collectif, des critères de sélection doivent être prévus afin de départager les salariés en cas de nombre de candidats à la RCC supérieur au nombre maximal de départs prévus.
Les salariés protégés peuvent aussi bénéficier de la RCC, toutefois la rupture du contrat de travail ne pourra intervenir que le lendemain du jour de l’autorisation de l’inspection du travail.
En cas d’acceptation par l’employeur de la candidature du salarié à la rupture conventionnelle collective, le contrat de travail sera rompu d’un commun accord par les parties.
Le salarié bénéficiera d’une indemnité définie préalablement dans l’accord collectif, et au moins équivalente à l’indemnité légale due en cas de licenciement pour motif économique.
6. Quel est le régime social et fiscal des indemnités de la Rupture Conventionnelle Collective ?
Impôts sur le revenu |
Les indemnités de RCC sont intégralement exonérées d’impôts sur le revenu, ainsi que les indemnités versées dans le cadre des mesures d’accompagnement et de reclassement externe des salariés. A l’exception des indemnités qui constituent des éléments de salaires (indemnité de CP, préavis ou non-concurrence). |
Cotisations de Sécurité Sociale |
Les indemnités de RCC sont exclues de l’assiette des cotisations de Sécurité Sociale, dans la limite de 2 fois le PASS soit 92 736 € en 2024, et si le montant total n’excède pas 10 PASS soit 463 680 € en 2024. |
7. Quels sont les avantages et les inconvénients de la Rupture Conventionnelle Collective pour les salariés ?
Les avantages de la Rupture Conventionnelle Collective sont principalement :
- Cela favorise le reclassement externe des salariés en leur faisant bénéficier de mesures d’accompagnement (formations, congé de mobilité, aides à la création ou reprise d’entreprise) ;
- Le droit pour les salariés de bénéficier de l’assurance chômage s’ils remplissent les conditions pour en bénéficier ;
- La liberté pour les salariés d’accepter ou de refuser la RCC ;
- L’exonération d’impôt sur le revenu pour l’indemnité de départ, dans les mêmes limites que les plans de départs volontaires.
Les inconvénients de la Rupture Conventionnelle Collective sont que :
- Le salarié ne peut pas prétendre au contrat de sécurisation professionnelle (CSP), contrairement à une procédure ;
- Le salarié ne bénéficie pas d’une priorité de réembauche, contrairement au licenciement économique.
8. Comparaison entre Rupture Conventionnelle Collective, Plan de Sauvegarde à l’Emploi et Plan de Départs Volontaires
Rupture Conventionnelle Collective (RCC) |
Plan de Départs Volontaires (PDV) |
Plan de Sauvegarde à l’Emploi (PSE) |
|
Justification d'un motif économique |
Non |
Oui (hors PDV autonome) |
Oui |
Objectif |
Éviter les licenciements |
Éviter les licenciements |
Améliorer les conditions des licenciements |
Seuil d'effectif |
Aucun seuil d'effectif |
Oui (identique au PSE) |
Oui |
Volontariat des salariés |
Oui |
Oui |
Non (sauf si appel au volontariat défini dans le plan) |
Recrutement après le plan |
Immédiat |
Pas de CDI avant 1 an |
Pas de CDI avant 1 an (priorité de réembauche) |
Forme |
Accord collectif majoritaire |
Accord collectif ou décision unilatérale de l'employeur |
Accord collectif majoritaire ou document unilatéral de l'employeur |
📄Pour plus d’informations, consultez le Questions/Réponses du Ministère du Travail
9. Quelles sont les mesures négociables dans le cadre d’une Rupture Conventionnelle Collective ?
La rupture conventionnelle collective est un dispositif flexible permettant aux entreprises de s’adapter aux évolutions stratégiques tout en garantissant aux salariés un départ volontaire avec des mesures d'accompagnement renforcées. Elle permet d’éviter les licenciements économiques tout en répondant aux transformations du marché et des métiers.
Les accords étudiés montrent la diversité des stratégies adoptées, avec des clauses d'accompagnement renforcé pour assurer la réussite des projets des salariés volontaires.
Une étude a été menée à la demande du Comité d’évaluation des ordonnances, par des étudiants de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction des Professeurs Grégoire Loiseau et Pascal Lokiec. A cet effet, 110 accords de RCC (soit la quasi-totalité) conclus et validés entre juin 2020 et décembre 2020, ont été examinés. Cette étude met en lumière les mesures les plus fréquemment adoptées, telles que l’accompagnement au reclassement externe et la formation professionnelle.
📄Lien vers l’étude complète : rapport sur les accords de RCC 2020
Dans le rapport du Comité d’évaluation des ordonnances qui s’en est suivi en 2021, un bilan était alors fait de ce dispositif. Le rapport notait que :
« S’agissant du risque évoqué à l’origine que ces plans de départ volontaires soient utilisés en priorité pour faciliter le départ de salariés seniors, certains accords prévoient en effet des mesures spécifiques de cessation anticipée d’activité. Ce sujet fait l’objet d’une vigilance spécifique lors du contrôle par les DREETS qui refusent des accords qui ne viseraient que des salariés en fin de carrière. Si des dispositifs de cessation anticipée figurent au sein de RCC, les DREETS contrôlent qu’ils sont financés entièrement par l’entreprise (et pas par un report sur l’assurance chômage). À ce stade, il n’est pas possible de mesurer un éventuel effet d’éviction des seniors. » (Caractères gras ajoutés par nos soins).
Ainsi, il ressort de ces études que :
- Les RCC couvrent de nombreux secteurs d'activités, notamment l'industrie, l'aéronautique, le transport, le BTP, l'informatique, les médias et le commerce ;
- Les entreprises utilisent les RCC principalement pour anticiper des transformations économiques, adapter leurs effectifs ou dans le cadre de restructurations internes.
- Les accords incluent souvent des mesures d'accompagnement pour les salariés, telles que des formations, des congés de mobilité, ou encore des aides à la création d'entreprise. Cela vise à faciliter la transition vers de nouveaux projets professionnels ou la reconversion des salariés concernés ;
Certains accords visent spécifiquement les salariés seniors, proches de la retraite, pour leur permettre de quitter l'entreprise avec des conditions avantageuses. Cependant, l'administration veille à ce que les accords ne visent pas uniquement cette catégorie de salariés pour éviter un effet d'éviction des seniors.
Parmi les autres points négociés dans les accords de RCC, on retrouve :
- Les modalités de présentation et d'examen des candidatures : Les salariés volontaires passent par des processus de sélection définis par l'accord, avec souvent la mise en place de comités de validation des candidatures. Certains accords prévoient des périodes de candidature plus longues pour atteindre les objectifs de réduction d'effectifs ;
- Les indemnités et critères de départage : Les indemnités de départ sont généralement attractives et peuvent inclure des primes en fonction de l’ancienneté ou de la situation spécifique du salarié (travailleur handicapé, proche de la retraite). Les critères de départage sont basés sur l'ancienneté, la suppression du poste ou la viabilité du projet personnel du salarié ;
- Le suivi de l’accord : Le suivi de la mise en œuvre de l’accord est assuré par une commission qui se réunit régulièrement pour analyser l'évolution des candidatures et les éventuelles difficultés rencontrées.
Ci-dessous quelques exemples d’accords et des mesures négociées.
Accord collectif de RCC |
Mesures négociées |
Renault Trucks – 2021 |
Un volet important de mobilité interne pour proposer des alternatives aux salariés concernés, et un accompagnement à la reconversion professionnelle. |
Euro Disney – 2021 |
Propositions de reclassement interne, formation à la reconversion professionnelle, et mesures spécifiques pour les salariés proches de la retraite. |
Airbus Helicopters – 2021 |
Mise en place de cellules de reclassement et de soutien à la création d’entreprise, avec un suivi personnalisé pour les salariés concernés. |
Michelin – 2021 |
Indemnités de rupture « attractives », soutien à la formation et à la reconversion professionnelle, et priorisation des départs en préretraite. |
Total – 2021 |
Plan d’accompagnement, avec des formations de longue durée et des soutiens financiers à la création d'entreprise. |
10. Bilan de la Rupture Conventionnelle Collective
Le rapport du Comité d’évaluation des ordonnances de 2021 souligne aussi que, malgré les craintes initiales, les RCC ne se concentrent pas exclusivement sur les salariés en fin de carrière. Toutefois, les autorités administratives restent vigilantes quant à l’utilisation de ce dispositif.
En 2020, 122 accords de RCC avaient été conclus. En 2021, c’est 361 accords de RCC qui ont été conclus, soit plus du double. En 2022, le chiffre se stabilise puisqu’il s’est élevé à 338 accords.
Il ressort du rapport que :
- Les RCC constituent des alternatives aux licenciements économiques et permettent aux entreprises de procéder à des réductions d’effectifs ou à des ajustements organisationnels, sans passer par les contraintes lourdes d’un licenciement collectif ;
- Bien que distincts des licenciements économiques, ces dispositifs sont souvent proches du cadre juridique des Plans de Sauvegarde de l’Emploi (PSE). Le Conseil d’État a récemment précisé que la RCC, par exemple, ne doit pas être utilisée dans des situations où un licenciement économique est inévitable, sous peine d’être requalifiée ;
- Les risques de fraude sont soulignés, en particulier lorsque des entreprises cherchent à contourner les obligations liées aux licenciements économiques. C’est le cas par exemple en cas de fermeture d’un site complet.
- Il est possible, dans certaines circonstances, que les juges réintroduisent le droit du licenciement économique lorsqu’un accord de type RCC est jugé frauduleux ou illégal. Cela entraînerait des répercussions pour les entreprises qui ne respectent pas strictement les règles.
La jurisprudence récente, notamment l'arrêt Paragon Transactions du Conseil d’État en 2023, a souligné l’importance de garantir qu'aucun licenciement ne puisse suivre immédiatement la fin de la période d’application de la RCC.
Comme l’affirme explicitement le Conseil d’État, ce contrôle a pour finalité de vérifier que le dispositif de RCC ne constitue pas un contournement des dispositions d’ordre public encadrant le licenciement pour motif économique et particulièrement de l’obligation d’établir un PSE.
Ainsi, la décision trace non seulement les contours du contrôle de l’administration sur l’accord collectif portant RCC, mais ce faisant, il contribue à dessiner la ligne de partage entre ce dispositif et le plan de départs volontaires devant faire l’objet d’un PSE.
En conclusion, l’utilisation rigoureuse et transparente de la rupture conventionnelle collective est indispensable pour éviter tout abus.
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