Le CPF permet à chaque travailleur de cumuler des droits à formation en €uros, mais souvent ces droits ne suffisent pas pour financer une formation intégralement. C’est là que les abondements entrent en jeu.
Chaque salarié à temps plein bénéficie d’une alimentation annuelle de son Compte Personnel de Formation (CPF) à hauteur de 500 € par année de travail, dans la limite de 5.000 € au total. Les salariés travaillant à temps partiel disposent du même droit, dès lors qu’ils accomplissent au moins la moitié de la durée légale annuelle. En deçà de ce seuil, le montant est ajusté proportionnellement au temps de travail effectué.
Au-delà de cette alimentation classique, le compte peut être enrichi par divers abondements spécifiques prévus par la loi. En parallèle, l’employeur peut aussi décider d’accorder une dotation volontaire, permettant de soutenir le projet de formation d’un salarié.
Jusqu’au 17 avril 2025, ces versements volontaires étaient réalisés sans possibilité pour l’employeur de contrôler l’usage des sommes versées : le salarié restait libre de financer toute action de formation éligible au CPF, qu’elle corresponde ou non aux priorités de l’entreprise.
Depuis cette date, la réglementation a évolué avec le Décret du 14 avril 2025 : l’employeur peut désormais flécher sa contribution vers certaines actions de formation, limitativement énumérées à l’article L.6323-6 du Code du travail, et même désigner une ou plusieurs certifications précises. Le salarié conserve la liberté d’accepter ou non cette dotation, mais s’il l’utilise, il devra suivre la formation identifiée par l’entreprise.
Une autre nouveauté prévoit que l’entreprise peut aussi définir un délai d’utilisation de la dotation. Si le salarié n’emploie pas tout ou partie de cette somme dans le temps imparti, un remboursement à l’employeur peut être prévu.
Cet article propose une analyse des dotations employeurs au CPF, avec un focus sur les évolutions récentes et la place du CSE comme acteur clé du dispositif.
1) Un socle légal pour les dotations employeurs
Il existe deux types de dotations obligatoires imposées par la loi à l’employeur :
- Les droits correctifs, en cas de manquement aux entretiens professionnels (art. R.6323-3 IV du Code du travail). En effet, si l’employeur ne respecte pas les obligations légales en matière d’entretiens professionnels, il doit créditer le CPF du salarié concerné d’une somme de 3 000 €. Depuis le 1er janvier 2022, l’abondement doit être réalisé au plus tard le dernier jour du trimestre civil suivant l’entretien-bilan sexennal qui a mis en évidence le manquement ;
- Les dotations liées à certains licenciements : lorsqu’un salarié est licencié pour avoir refusé la modification de son contrat dans le cadre d’un accord de performance collective, l’employeur doit verser une dotation d’au moins 3 000 € sur son CPF. Cette démarche doit être effectuée dans un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement, en transmettant à la Caisse des Dépôts les informations nécessaires au crédit du compte ( L.6323-17-6 du Code du travail).
Le Code du travail prévoit aussi, à l’article L.6323-4-III, que l’employeur peut compléter le Compte personnel de formation (CPF) de ses salariés. Cette dotation peut intervenir :
- A titre volontaire : la dotation volontaire, récemment renforcée par le décret du 14 avril 2025 publié au journal officiel du 16 avril 2025, constitue un outil stratégique de politique de formation et un levier de négociation collective pour les CSE.
Le décret du 14 avril 2025 institue une plateforme numérique centralisée (souvent via EDEF) pour sécuriser et tracer les versements d’abondements, notamment ceux de l’employeur, avec possibilité de fléchage vers certaines formations certifiantes.
Cette réforme permet d’orienter plus précisément les financements, d’améliorer la transparence et d’aligner les formations choisies sur les besoins stratégiques de l’entreprise, tout en maintenant le choix final entre les mains du salarié.
Il est aussi désormais possible de fixer un délai d’utilisation et de prévoir des modalités de remboursement partiel si le salarié n’utilise pas l’abondement, améliorant ainsi la responsabilisation et le ciblage des investissements ;
- Ou dans le cadre d’un accord collectif d’entreprise, de groupe ou de branche : lorsqu’un accord prévoit une alimentation du CPF plus favorable que l’obligation légale, l’employeur doit annuellement identifier les salariés ciblés et leur attribuer le montant défini par l’accord.
Type de dotation | Fondement juridique | Conditions de déclenchement | Montant / Modalités | Délai de versement | Particularités |
---|---|---|---|---|---|
Droits correctifs (obligatoire) | Art. R.6323-3 | Manquement aux obligations liées aux entretiens professionnels (entretien bilan sexennal) | 3 000 € versés sur le CPF du salarié | Depuis le 1er janvier 2022 : au plus tard le dernier jour du trimestre civil suivant l’entretien-bilan constatant le manquement | Vise à sanctionner l’absence de respect des obligations de formation |
Dotation liée à certains licenciements (obligatoire) | Art. L.6323-17-6 | Licenciement pour refus de modification du contrat dans le cadre d’un accord de performance collective (APC) | Minimum 3 000 € sur le CPF | Dans les 15 jours suivant la notification du licenciement | L’employeur doit transmettre à la Caisse des Dépôts les informations nécessaires |
Dotation volontaire (facultative) | Art. L.6323-4-III + décret du 14 avril 2025 | Décision de l’employeur d’alimenter le CPF d’un ou plusieurs salariés | Montant libre fixé par l’employeur | Via la plateforme EDEF (Caisse des Dépôts) | Depuis 2025 : possibilité de « flécher » vers des formations certifiantes, fixer un délai d’utilisation, prévoir un remboursement partiel si non utilisé |
Dotation issue d’un accord collectif (facultatif) | Art. L.6323-4-III | Accord d’entreprise, de groupe ou de branche prévoyant une alimentation CPF supérieure au minimum légal | Montant fixé par l’accord | Attribution annuelle par l’employeur aux salariés ciblés | Constitue une mesure de développement des compétences négociée collectivement |
2) Des pratiques encore limitées mais révélatrices
Selon la Caisse des Dépôts (QPS, Études n°44, mai 2025), entre 2020 et 2023 :
- Près de 10 000 entreprises ont eu recours à ce dispositif, représentant un total de 250 M€ versés sur les CPF de leurs salariés ;
- Dont 60 M€ correspondaient à des dotations volontaires, et 2 M€ via des accords collectifs ;
- En 2023, seuls 3,3 salariés sur 10 000 en moyenne ont bénéficié d’une telle dotation volontaire.
L’étude souligne toutefois un élément important : lorsque les abondements sont attribués, ils sont largement consommés. Ainsi, près de 69 % des dotations volontaires ont été utilisées par les salariés, contre seulement 4 % des droits correctifs. Cette différence révèle que les abondements volontaires, négociés ou proposés dans le cadre d’un projet partagé, trouvent immédiatement leur utilité.
La Caisse des Dépôts observe d’ailleurs que deux tiers des formations financées par un abondement volontaire sont achetées dans les quinze jours suivant son attribution, ce qui traduit un besoin réel et une forte réactivité des salariés lorsque l’abondement s’inscrit dans une logique concertée.
Source : Caisse des Dépôts (QPS, Études n°44, mai 2025)
3) Quels types de formations sont financées par ces abondements ?
Les dotations employeurs orientent majoritairement les salariés vers des formations certifiantes inscrites au RNCP. En 2023, 57 % des formations financées par un abondement employeur relevaient du RNCP, contre seulement 18 % pour l’ensemble des formations financées par le CPF.
Certaines thématiques apparaissent de façon récurrente : les formations bancaires figurent parmi les plus financées, de même que les permis poids lourds et les certifications linguistiques comme le TOEIC. Cela témoigne d’une volonté de lier la dotation à des compétences directement mobilisables sur le marché du travail.
Le profil des bénéficiaires est également instructif. D’après l’étude, la quasi-totalité des dotés sont salariés en CDI (95 %), appartenant majoritairement aux catégories des cadres et professions intermédiaires (près des deux tiers des cas).
L’âge moyen des bénéficiaires est de 39 ans, ce qui correspond à une population en milieu de carrière, souvent en recherche de consolidation ou de réorientation professionnelle.
Source : Caisse des Dépôts (QPS, Études n°44, mai 2025)
4) L’évolution du CPF en 2024 : une consommation en mutation
L’année 2024 marque un tournant dans l’utilisation du CPF, en raison de plusieurs modifications réglementaires majeures. Trois évolutions principales doivent être relevées :
- En janvier 2024, l’éligibilité du permis moto a été introduite dans la liste des formations finançables par le CPF ;
- En mai 2024, une participation forfaitaire obligatoire (PFO) de 100 € a été instaurée pour les titulaires de comptes non inscrits à France Travail ;
- Le financement de certains permis de conduire a été restreint afin de limiter les dérives observées sur ce segment.
Ces changements ont eu un effet immédiat sur les comportements des utilisateurs. Au premier semestre 2024, on a observé une forte progression des entrées en formation (+30 %), stimulée par l’ouverture du permis moto et l’anticipation de la mise en place de la PFO.
Mais dès le second semestre, la dynamique s’est brutalement inversée : les entrées ont chuté de 14 %, avec un recul particulièrement marqué pour les personnes non inscrites à France Travail, directement affectées par l’instauration de la participation forfaitaire.
Parallèlement, le prix moyen d’une formation CPF a atteint 1 590 € pour une durée moyenne de 66 heures, soit une hausse de 2 % par rapport à l’année précédente.
Certaines catégories de formation ont enregistré des augmentations plus fortes, notamment les bilans de compétences, dont le prix a progressé de 6,1 % en 2024.
5) Un levier pour le CSE dans le cadre du dialogue social
Les données issues des travaux de la Caisse des Dépôts montrent que les dotations volontaires au CPF, bien qu’encore marginales en volume, se distinguent par leur efficacité : près de 70 % des sommes versées sont effectivement utilisées par les salariés, et ce dans des délais très courts.
À l’inverse, les dotations imposées par la loi (droits correctifs ou dotations liées à certains licenciements) connaissent des taux d’utilisation très faibles, ce qui tend à démontrer que ces abondements, perçus comme une contrainte, ne répondent pas nécessairement à un projet professionnel partagé.
Ce constat ouvre une opportunité majeure pour le CSE dans le cadre de ses prérogatives en matière de formation et de gestion des emplois et des compétences. En effet, le CSE dispose de plusieurs leviers :
- Négocier avec l’employeur l’attribution d’abondements volontaires ciblés, par exemple sur des certifications stratégiques (compétences numériques, métiers en tension, reconversions prioritaires) ;
- Revendiquer des dotations orientées vers certaines catégories de salariés plus exposées (employés en reconversion, séniors, contrats précaires), afin de garantir une équité dans l’accès à la formation ;
- Contrôler et suivre les choix opérés par l’entreprise en matière de dotations, au titre de sa mission d’information-consultation sur la formation professionnelle et la GPEC.
L’évolution réglementaire du décret du 14 avril 2025 renforce d’ailleurs ce rôle, puisqu’il permet désormais à l’employeur de flécher ses dotations vers des certifications spécifiques, tout en imposant des délais d’utilisation et en prévoyant éventuellement un remboursement si les sommes ne sont pas utilisées.
Cet encadrement ouvre un champ de négociation collective : le CSE peut intervenir pour orienter ce fléchage dans l’intérêt à la fois de l’entreprise et des salariés.
Dans un contexte où le CPF est encore largement mobilisé pour des formations de courte durée (permis de conduire, langues, bureautique), les représentants du personnel ont tout intérêt à négocier une politique de dotations volontaires ambitieuse, permettant d’orienter les financements vers des formations certifiantes RNCP ou des parcours qualifiants, beaucoup plus structurants pour l’évolution professionnelle.
Ainsi, la dotation volontaire employeur au CPF constitue non seulement un outil de montée en compétences pour l’entreprise, mais aussi un levier de dialogue social à forte valeur ajoutée, en donnant au CSE un rôle moteur dans la construction de la stratégie de formation.
La dotation volontaire de l’employeur sur le CPF, bien que minoritaire, apparaît donc comme un outil efficace et mobilisé par les salariés. Elle est un vecteur de fidélisation et d’accompagnement des transitions professionnelles, et offre au CSE un levier concret de dialogue social, pour enrichir la politique de formation et renforcer le rôle du CSE en matière de GPEC.
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