La situation des salariés proches aidants constitue désormais un fait social majeur, susceptible de produire des effets directs sur la santé, la carrière professionnelle et le maintien dans l’emploi des salariés concernés.
Les données issues de l’étude OCIRP/Viavoice 2025 établissent que plus de six salariés aidants sur dix déclarent éprouver des difficultés significatives sur le plan de la santé mentale lorsqu’ils accompagnent un conjoint, et que la moyenne d’entrée dans l’aidance se situe autour de 34 ans, avec une durée d’exposition approchant dix années en moyenne. L’âge moyen des aidants est ainsi de 44 ans, ce qui confirme que l’aidance concerne principalement des salariés en activité et non une population en fin de carrière.
Il ressort également que la problématique de l’aidance ne concerne pas une population marginale ou en fin de parcours professionnel, mais des salariés situés au cœur de la vie active, souvent exposés simultanément à des responsabilités familiales et professionnelles élevées.
À ce constat, s’ajoute une difficulté majeure : la situation d’aidance reste largement invisible dans l’entreprise. Seuls 34 % des salariés aidants ont informé leur employeur de leur situation, et seuls 8 % ont informé un représentant du personnel ou un CSE, tandis que près de 60 % des salariés aidants estiment ne pas être suffisamment informés de leurs droits.
Ce déficit d’information et de reconnaissance institutionnelle est source de désinsertion professionnelle et de ruptures de parcours.
Cet article revient sur la reconnaissance juridique du salarié proche aidant, mais aussi sur le rôle du CSE en matière de prévention et de négociation collective.
1) Quelle est la reconnaissance juridique du salarié proche aidant ?
Le Code du travail reconnaît désormais formellement la qualité de « proche aidant » du salarié, entendu comme toute personne venant en aide, de manière régulière et non professionnelle, à un proche en situation de perte d’autonomie, de handicap ou de maladie grave.
Cette reconnaissance s’est notamment traduite par :
- L’instauration d’un congé de proche aidant ;
- La création d’une allocation journalière du proche aidant (AJPA) ;
- L’intégration du thème de la conciliation vie privée / vie professionnelle dans les négociations collectives obligatoires ;
- La reconnaissance progressive d’un droit à l’adaptation des conditions de travail.
Depuis 2019, la négociation portant sur la conciliation des temps de vie et sur l’accompagnement des aidants est devenue obligatoire au niveau des branches professionnelles. À l’échelle de l’entreprise, l’initiative repose très largement sur les représentants du personnel dans le dialogue social.
| Source de droit | Texte de référence | Contenu juridique essentiel |
|---|---|---|
| Définition légale du proche aidant | Article L.113-1-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) | Définit largement le proche aidant comme toute personne venant en aide à un conjoint, ascendant, descendant, collatéral jusqu’au 4ᵉ degré, ou personne partageant le domicile. |
| Congé de proche aidant | Article L.3142-16 du Code du travail | Crée le droit au congé de proche aidant et renvoie à la définition du CASF. Organise l’ouverture du droit au congé pour accompagner un proche. |
| Négociation collective obligatoire | Article L.2241-1, 5° du Code du travail | Impose aux branches professionnelles de négocier périodiquement sur la conciliation vie professionnelle / vie personnelle, incluant la situation des salariés aidants. |
| Droit européen | Directive (UE) 2019/1158 du 20 juin 2019 | Impose un congé aidant d’au moins 5 jours/an, des protections contre les discriminations et le droit à des adaptations des conditions de travail. |
2) Quel est l’impact de l’aidance sur les carrières ?
L’étude OCIRP/Viavoice 2025 met en évidence que :
- 1 salarié aidant sur 3 se déclare en difficulté professionnelle ;
- 20 % envisagent une sortie contrainte de l’emploi ;
- Des renoncements fréquents aux promotions, formations et mobilités sont observés.
Les managers et DRH reconnaissent massivement que l’aidance constitue un frein réel à l’évolution professionnelle.
De plus, l’absence de politique structurée en matière d’aidance contribue indirectement à accentuer les inégalités professionnelles, notamment entre les femmes et les hommes.
Le CSE peut dès lors intégrer dans les accords :
- Des garanties d’égalité de traitement ;
- Des dispositifs de maintien de carrière ;
- Des droits renforcés à la formation et à la mobilité choisie ;
- La prévention des discriminations liées à la situation d’aidant.
3) Quel est le rôle du CSE en matière de repérage et de prévention ?
Le CSE exerce une fonction essentielle d’alerte et de médiation entre les salariés aidants et l’employeur.
À ce titre, il peut :
- Organiser des enquêtes internes anonymisées sur l’aidance ;
- Exiger l’intégration du thème de l’aidance dans les diagnostics QVCT ;
- Demander l’inscription du sujet à l’ordre du jour périodique des réunions ;
- Promouvoir des actions d’information collective ;
- Solliciter l’organisation de campagnes internes de sensibilisation ;
- Revendiquer une communication interne dédiée.
Ces actions s’inscrivent pleinement dans les missions générales du CSE relatives à la promotion de la santé, de la sécurité et de l’amélioration des conditions de travail des salariés.
L’aidance doit être considérée, juridiquement, comme un facteur aggravant de risques psychosociaux, ce qui justifie sa prise en compte dans les démarches de prévention primaire et dans le DUERP.
4) Quel est le rôle du CSE en matière de négociation collective ?
Les attentes des aidants sont convergentes : flexibilité, temps, protection financière et soutien humain constituent les fondements d’une politique crédible pour les aidants.
Les mesures relatives aux salariés aidants peuvent juridiquement être négociées dans différents cadres conventionnels, ce qui permet au CSE de proposer une approche transversale plutôt qu’un accord unique « aidants ».
Les accords réellement efficaces sur l’aidance sont ceux qui agissent sur le travail réel, et pas uniquement sur les absences.
Le CSE dispose ainsi de plusieurs leviers pour influencer le contenu des accords d’entreprise.
| Champ de négociation | Mesures pouvant être intégrées dans les accords collectifs | Objectif juridique et social |
|---|---|---|
| Organisation du travail | – Encadrement des plages horaires des réunions – Limitation des réunions tardives – Interdiction des réunions inutiles ou redondantes – Priorisation de la visioconférence – Réduction des déplacements professionnels |
Garantir la disponibilité personnelle du salarié aidant et prévenir l’allongement non maîtrisé du temps de travail. |
| Aménagement du temps de travail | – Horaires individualisés sans plage fixe – Aménagements ponctuels – Temps partiels choisis et sécurisés – Annualisation du temps de travail – Maintien des droits retraite à temps plein malgré la réduction du temps travaillé |
Sécuriser juridiquement les parcours professionnels et prévenir les ruptures de carrière. |
| Télétravail | – Augmentation des jours télétravaillables – Report ou cumul des jours de télétravail – Souplesse dans les plages de joignabilité |
Adapter l’exécution du travail aux contraintes de l’aidance. |
| Congés spécifiques | – Congés supplémentaires rémunérés – Congés pour priorité personnelle – Abondement du CET – Autorisations d’absence élargies – Congés longs avec réintégration garantie – Dons de jours |
Offrir une protection réelle lors des événements liés à l’aidance sans risque de désinsertion professionnelle. |
5) Comment le CSE peut-il contribuer à prévenir la santé mentale des salariés aidants ?
La situation des salariés aidants appelle une vigilance particulière en matière de santé au travail.
L’étude OCIRP souligne que la charge mentale liée à l’aidance augmente fortement lorsque le salarié est en emploi, ce qui confirme le caractère aggravant de la double contrainte professionnelle et familiale.
L’étude confirme que 44 % des aidants déclarent une dégradation de leur santé mentale, avec des taux atteignant 60 % pour les aidants du conjoint et plus de 55 % chez les aidants solos.
Le CSE peut donc :
- Revendiquer une évaluation spécifique des risques pour les salariés de l’entreprise ;
- Demander la mise en place de cellules d’écoute ;
- Intégrer la problématique de l’aidance au DUERP ;
- Former ses membres à la détection des situations de fragilité ;
- Favoriser l’intervention des services de santé au travail.
Ces actions relèvent directement des missions légales du CSE en matière de prévention.
Le déficit d’information juridique est l’un des principaux facteurs de fragilisation des salariés aidants. Le CSE peut donc :
- Diffuser des fiches pratiques ;
- Organiser des permanences sociales ;
- Orienter vers la médecine du travail ;
- Accueillir des opérateurs externes spécialisés ;
- Accompagner les démarches administratives.
La situation d’aidant n’est plus un aléa individuel mais un phénomène désormais appelé à se généraliser dans les entreprises. Près de trois quarts des actifs considèrent que la conciliation entre travail et aidance deviendra la norme dans les prochaines années, ce qui impose une anticipation collective. Le salarié proche aidant est un salarié exposé à des risques spécifiques que le droit du travail impose désormais d’anticiper.
Le CSE, par sa position institutionnelle, est capable de favoriser le lien et l’action entre :
- Les réalités individuelles ;
- La politique sociale de l’entreprise,
- Les exigences du droit du travail.
CE Expertises, cabinet d’expertise comptable spécialisé dans l’accompagnement des CSE, peut vous aider à analyser la politique de qualité de vie au travail de votre entreprise, et plus spécifiquement la situation des proches aidants. Contactez-nous pour en discuter !
