Face à l’Intelligence Artificielle, comment le CSE peut-il protéger les emplois ?

4 avril 2024

Face à la recrudescence des plans sociaux justifiés par les gains de performance de l’intelligence artificielle (IA), Elisabeth Borne a installé en août 2023 une commission sur l’intelligence artificielle.

Cette dernière a rendu son rapport le 13 mars 2024, comprenant une partie destinée à la Direction générale du travail avec des recommandations détaillées sur les modalités des mesures envisageables, telles qu’un accord national interprofessionnel sur l’IA et une évolution du Code du travail en l’absence d’appropriation par les entreprises de l’information-consultation du CSE sur cette thématique.

Quelles conséquences potentielles de l’IA sur les emplois ?

De nombreuses études internationales indiquent que l’emploi mondial va être impacté par l’Intelligence Artificielle. Le Fonds Monétaire International estime par exemple que 40 % de l’emploi mondial pourrait être impacté.
Les emplois de bureau peu qualifiés seraient menacés de disparaître, quand les professions qualifiées devront apprendre à travailler avec l’IA.

La perte d'emploi liée à l'émergence de l’IA devient donc une préoccupation croissante dans le monde du travail. Après l’innovation technologique, l’intelligence artificielle apparaît comme une nouvelle force motrice.
L’IA pourrait permettre l’optimisation de la productivité, assortie à la réduction des coûts.

Mais l’employeur peut-il réellement supprimer des emplois au motif que leurs postes sont devenus obsolètes ?

Des garanties juridiques pour les salariés concernés par l’évolution des outils numériques de l’entreprise existent-elles ?

A titre d’exemple : l’entreprise IBM prévoit de remplacer environ 30% des postes de fonctions support par de l’IA, soit environ 8 000 emplois.

% de postes de fonction support remplacé par de l’IA

Nombre d’emploi supprimé

30

8000

En France, le 15 janvier 2024, la société Onclusive a confirmé un PSE supprimant 217 postes et remplacés par l’IA. Si l’argument principal réside dans la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, l’intégration de l’intelligence artificielle demeure très présente dans cette restructuration.

Le licenciement économique pour mutation technologique, une porte ouverte pour les entreprises ayant recours à l’IA ?

Une entreprise qui acquiert de nouvelles machines permettant l’automatisation de tâches, ou un nouveau logiciel permettant la suppression d’une grande partie des tâches des salariés, peut avoir recours au licenciement économique pour mutation technologique.

Les outils d’Intelligence Artificielle représentent-ils eux aussi une évolution pouvant être qualifiée d’innovation technologique au sens de la jurisprudence ?

  • La nécessité d’une véritable innovation technologique :

La Cour de cassation avait eu l’occasion par le passé de rappeler le cadre du licenciement économique pour mutation technologique.
Pour être licite, l’évolution doit pouvoir être qualifiée de véritable innovation technologique. Un simple changement de logiciel dans une entreprise en utilisant déjà un ne permettrait donc pas l’utilisation de ce motif.

C’est l’état d’avancée technologique antérieur de l’entreprise qu’il faut regarder. La seule acquisition d’un outil d’IA ne suffira donc en principe pas à autoriser une restructuration basée sur la mutation technologique.

  • La formation et l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi :

La véritable innovation technologique n’est pas la seule exigence. La formation et l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi, qui sont un droit pour les salariés et une obligation pour l’employeur, devront également être mis en œuvre avant tout licenciement.
En effet, l’employeur « veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations », et doit mettre en œuvre les formations qui « participent au développement des compétences, y compris numériques ».

L'employeur qui voudra avoir recours à la mutation technologique devra donc avoir mis en œuvre en amont les actions de formation nécessaires le cas échéant.

Formation initiale ou formation continue ? L’employeur n’ayant pas d’obligation d’assurer la formation initiale des salariés, c’est vers la formation continue qu’il convient de se tourner.

Actuellement, l’IA semble considérée comme un outil d’optimisation des tâches effectuées par les salariés et devrait donc dans ce cas relever de la formation continue.

Quel est le rôle du CSE face aux risques de restructuration et de PSE liés à l’IA ?

Dans le cadre des consultations annuelles obligatoires, les orientations stratégiques de l’entreprise doivent être présentées au CSE.
L’introduction de nouvelles technologies telles que l’IA pouvant avoir un impact sur les emplois et les besoins en compétences des salariés, une information-consultation doit être menée pour discuter de ces questions.

En cas de plan social (PSE), le projet doit également être étudié par le CSE.

Le CSE a donc un rôle à jouer dans la gouvernance de l’IA dans l’entreprise. Il doit veiller à ce que l’innovation technologique se fasse dans une approche responsable et humaine, et prévenir toute dérive.

  • Le contrôle du PSE par la DREETS :

Si l’appréciation du motif économique relève exclusivement de la compétence du juge judiciaire, la DREETS s’assure quant à elle du respect de la procédure d’information-consultation du CSE qui doit disposer d’une information précise, complète et suffisante pour rendre un avis éclairé sur le projet de réorganisation et ses conséquences sur la santé et la sécurité des salariés. Dans le cas contraire, le PSE pourra être considéré comme nul.
La consultation du CSE reste donc essentielle, comme le prouve le cas de la société Onclusive, qui a dû annuler son 1er PSE fin 2023 car il n’avait pas respecté les étapes préalables à sa mise en place.

CE Expertises peut vous accompagner dans l’analyse de l’impact du recours à cette nouvelle technologie au sein de votre entreprise. Contactez-nous pour en discuter.

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