Depuis la loi n°2021-1018 du 2 août 2021 transposant l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020, le terme Qualité de Vie au Travail (QVT) a été officiellement remplacé par Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT).
Ce changement traduit une volonté de recentrer les politiques de qualité de vie sur les réalités du travail, et non plus sur des mesures périphériques (salle de sieste, babyfoot, cours de yoga, etc…).
La QVT « première génération » se concentrait souvent sur le bien-être des salariés, au sens large. La QVCT dans sa version « seconde génération » impose une approche beaucoup plus systémique : elle s’intéresse au contenu du travail, à son organisation, à la prévention des risques professionnels (RPS compris) et à la capacité des collectifs de travail à dialoguer pour construire des solutions.
Les accords QVCT de seconde génération représentent donc plutôt une avancée majeure dans la reconnaissance du travail réel comme levier central de santé et de performance. Ils imposent une co-construction entre l’employeur et les représentants des salariés, fondée sur l’écoute, l’analyse des situations concrètes et le pilotage des transformations.
En 2023, 84.990 accords et avenants ont été conclus au niveau des entreprises. Un chiffre légèrement en baisse par rapport au pic de 2022 (−4 %). Parmi eux :
- 5,7 % traitent des conditions de travail ;
- 6,8 % abordent l’égalité professionnelle ;
- Et une majorité sont liés à l’épargne salariale (40,3 %) ou aux temps de travail (20,6 %).
Cela montre que la QVCT n’est pas encore un thème centralisé dans la majorité des accords, mais son importance croît, via des accords intégrés traitant de plusieurs thématiques en lien (égalité, charge mentale, articulation vie pro/vie perso…).
Cet article reprend, en 5 questions, les éléments essentiels des accords de QVCT 2ème génération.
1) Un cadre méthodologique proposé dans le référentiel ANACT 2023
L’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) propose un cadre méthodologique structuré en 10 idées clés pour guider les démarches QVCT, avec 3 ambitions centrales :
- Faire du travail un facteur de santé et non de souffrance ;
- Renforcer le pouvoir d’agir individuel et collectif sur le travail ;
- Améliorer concrètement le travail d’aujourd’hui et anticiper celui de demain.
Les principes de méthode donnés sont :
- S’accorder sur une vision commune et partagée de la QVCT ;
- Organiser le dialogue sur le travail (espaces de discussion, analyse collective des situations…) ;
- Mettre en place des expérimentations locales (organisation, charge de travail, relations…) ;
- Évaluer collectivement les effets des mesures sur la santé et la performance.
Ces principes structurent les accords de seconde génération comme ceux d’ArcelorMittal ou Eurovia Béton, en intégrant à la fois les sujets de parentalité, de charge mentale et d’organisation du travail.
2) Accords QVCT de seconde génération : quels sont les enjeux concrets ?
L’ANI du 9 décembre 2020 impose aux entreprises de plus de 50 salariés dotées d’un CSE, une négociation intégrée sur la QVCT dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, prévue à l’article L.2242-17 du Code du travail.
On parle d’accords de « seconde génération » lorsque les employeurs et les partenaires sociaux dépassent les intentions générales pour intégrer concrètement les conditions de travail dans le champ de la négociation. Cela suppose de ne pas se contenter de mesures périphériques, mais de s’attaquer au cœur du travail réel.
Les enjeux sont multiples :
- Réfléchir l’organisation du travail comme facteur de santé ou de souffrance
- Répartition des charges, autonomie dans le travail, rythmes imposés, processus de décision : autant de facteurs qui peuvent prévenir ou provoquer des risques psychosociaux (RPS) ;
- Ces accords permettent de lier les objectifs de performance aux capacités réelles de travail des salariés, évitant les injonctions paradoxales.
- Associer les salariés à l’analyse de leur travail
- L’un des fondements de la QVCT moderne repose sur la parole du travail, c’est-à-dire la possibilité pour les salariés d’analyser, d’exprimer et de faire évoluer leur manière de travailler ;
- Les accords les plus innovants prévoient la mise en place de groupes d’expression, de diagnostics participatifs ou de dispositifs de régulation du travail (réunions de service, espaces de discussion sur le travail…).
- Faire le lien entre prévention et performance
- L’INRS et l’ANACT insistent sur la synergie possible entre prévention des risques et performance organisationnelle : un collectif de travail bien organisé, soutenu et impliqué dans l’action est plus efficient ;
- L’accord de QVCT devient alors un levier de compétitivité durable, à condition d’être suivi, piloté et évolutif.
3) La nécessité de mesures effectives et proportionnées
Un accord QVCT ne saurait être efficace sans :
- Indicateurs de suivi : absentéisme, taux de rotation, satisfaction, accidents du travail... ;
- Comité de pilotage : composé de représentants de l’employeur, de salariés, de la CSSCT le cas échéant, et du service de santé au travail ;
- Évaluation annuelle : avec possibilité d’adaptation des mesures si les résultats ne sont pas atteints.
Thèmes traités | Exemples concrets |
---|---|
Organisation du travail | Révision des plannings, lissage de la charge de travail, droit à la déconnexion réel |
Reconnaissance et sens | Dispositifs de reconnaissance non pécuniaire, gestion des évolutions de poste |
Santé et prévention | Mesures sur le bruit, l’ergonomie, les troubles musculosquelettiques (TMS), analyse des AT/MP |
Dialogue professionnel | Création d’espaces de discussion sur le travail, formation des managers au management bienveillant |
Télétravail et hybridation | Réflexion sur les tâches télétravaillables, droit à la réversibilité, prise en charge des frais |
La jurisprudence commence à exiger des employeurs des mesures effectives et proportionnées pour garantir la santé et la sécurité des salariés. Un accord QVCT qui resterait déclaratif ou symbolique pourrait être inopérant sur le plan juridique.
Les juridictions pourraient donc, à l’avenir, sanctionner les employeurs qui n’assurent pas un suivi sérieux de leur politique QVCT, surtout si celle-ci a fait l’objet d’un accord collectif formel.
4) Quelques exemples d’accords d’entreprise considérés comme exemplaires parmi les accords de seconde génération
- ArcelorMittal : accord très complet intégrant télétravail, parentalité, régulation numérique et groupes d’échange sur les pratiques ;
- Eurovia Béton : articulation entre expression des salariés et amélioration de l’organisation ;
- Lafitte TP : mise en place d’un droit d’expression régulier et piloté, avec feedback structuré;
- MGEN: une structuration autour du "mieux vivre ensemble", "mieux travailler" (avec une articulation des DUERP au Papripact), "mieux se réaliser", "mieux anticiper" (avec notamment l'anticipation des évolutions d'organisation et les mesures d'impacts psychosociaux) ;
Ces accords ont en commun de traiter :
- Le travail comme sujet de négociation ;
- L’égalité professionnelle et la santé mentale comme leviers de QVCT ;
- Le dialogue social comme un outil opérationnel, et non seulement institutionnel.
Ainsi, les accords QVCT les plus prometteurs sont ceux qui :
- S’appuient sur une démarche collective et contextualisée ;
- Mettent en place des espaces de régulation continue ;
- Visent une transformation durable des rapports au travail, plutôt qu’un verdissement des pratiques RH.
L’enjeu est de passer de la QVT comme « bonus social » à la QVCT comme vrai levier collectif de régulation continue du travail et de prévention structurante.
5) Quel est le rôle du CSE en matière de QVCT ?
Le Comité Social et Économique joue un rôle central dans la démarche de Qualité de Vie et des Conditions de Travail. Ce rôle découle à la fois du Code du travail, de l’ANI du 9 décembre 2020 et des pratiques recommandées par l’ANACT.
Dans le code du travail, le CSE a un rôle d’acteur clé dans le dialogue social sur le travail.
C’est un interlocuteur naturel pour toute réflexion sur l’organisation du travail, la santé des salariés et les conditions de travail. Il doit être :
- Informé et consulté sur les politiques QVCT mises en place ;
- Associé en amont aux projets impactant le travail (aménagements, réorganisations, télétravail…) ;
- Impliqué dans le pilotage des démarches QVCT, aux côtés de la direction.
En matière de santé, sécurité et conditions de travail :
- Le CSE exerce les attributions de l’ancien CHSCT dans les entreprises de + 50 salariés ;
- Il contribue à la prévention des risques professionnels et à l’amélioration des conditions de travail (articles L.2312-5 et suivants) ;
- Il peut proposer des actions QVCT et demander l’inscription de points à l’ordre du jour.
Ainsi, dans le cadre des négociations QVCT :
- Le CSE participe à l’analyse des situations de travail et au recueil de besoins ;
- Il peut être associé à la rédaction et au suivi des accords QVCT (via un comité de pilotage par exemple) ;
- Il veille au respect des engagements pris, notamment sur les RPS, le droit à la déconnexion, l’articulation vie pro/perso, etc…
L'ANACT recommande aussi d'impliquer le CSE dans les pratiques innovantes :
- Dans la mise en place d’espaces de discussion sur le travail ;
- Lors de groupes d’analyse de l’activité réelle ;
- Dans les démarches de co-évaluation des actions QVCT ;
- Pour identifier les signaux faibles liés à la charge mentale ou aux dysfonctionnements organisationnels.
Dans les accords innovants comme ceux d’ArcelorMittal, Foncia ou Eurovia, le CSE est notamment associé à :
- Des comités QVCT paritaires ;
- Des dispositifs de régulation collective (groupes de parole, enquêtes, baromètres internes, etc…).
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