Forfait jour : Tout ce que le CSE doit surveiller pour protéger les salariés

13 mai 2025

Le dispositif du forfait-jours consiste à décompter le temps de travail du salarié non pas selon une référence horaire mais selon le nombre de jours travaillés sur l’année.
Le forfait-jours est un mode d’organisation du travail plébiscité dans de nombreux secteurs, notamment pour les cadres autonomes. Mais c’est aussi une source majeure de contentieux. La jurisprudence impose une vigilance accrue.

Le Comité Social et Économique (CSE) a un rôle essentiel à jouer pour garantir la conformité des pratiques de recours aux forfaits-jours, protéger la santé des salariés et limiter le risque pour l’employeur.
Cet article reprend tout ce que le CSE doit surveiller.

La consultation obligatoire du CSE

Avant toute mise en œuvre, le CSE doit être informé et consulté sur :

  • Le recours au forfait-jours dans l’entreprise ;
  • Les modalités de suivi de la charge et de l’amplitude du travail.

Cette consultation intervient dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, en vertu de l’article L2312-26 II 5° du Code du travail.
Les informations doivent figurer dans la BDESE (Base de Données Économiques, Sociales et Environnementales).

En pratique, le CSE doit vérifier :

  • L’existence d’un accord collectif valide, ou d’un accord de branche ou de dispositions conventionnelles, autorisant le forfait-jours. La loi renvoie en effet à l’accord d’entreprise ou à la convention collective ou à l’accord de branche, le soin de déterminer les catégories de salariés éligibles (article L.3121-64 du Code du travail) ;
  • Le respect des clauses obligatoires, dont la liste a été complétée par la loi Travail n°2016-1088 du 8 août 2016 afin notamment de tenir compte des exigences de la jurisprudence : catégories de salariés éligibles, modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail, droit à la déconnexion, période de référence du forfait, nombre de jours compris dans le forfait dans la limite de 218 jours, conditions de prise en compte pour la rémunération des absences.

A noter : dans certains cas ou domaines, il est interdit de conclure une convention de forfait annuel en jours. Par exemple, avec le personnel roulant des entreprises de transport routier, ou pour les cadres dirigeants (Cour de cassation, 07/09/2017, n°15-24.725 ; Cour de cassation 20/11/2024, n°23-17.881).

De même, le forfait-jours n’est pas applicable aux salariés à temps partiel. Pour contourner cette interdiction, il est possible de prévoir un forfait-jours réduit, inférieur au plafond légal de 218 jours (Cour de cassation, 09/07/2003, n°01-42.451), mais cela ne permet pas de qualifier le salarié de travailleur à temps partiel (Cour de cassation, 27/03/2019, n°16-23.800).

En l'absence de consultation régulière, le recours au forfait-jours pourrait être contesté par les salariés auprès du Conseil des Prud’hommes.

Surveillance de l'autonomie des salariés concernés

En vertu de l’article L3121-58 du Code du travail, le forfait-jours est réservé :

  • Aux cadres autonomes dans l’organisation de leur temps ;
  • Aux salariés dont la durée de travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur travail, pour les missions qui leur sont confiées.

Le CSE doit donc s’assurer que :

  • Les salariés concernés n'ont pas un horaire collectif imposé ;
  • Ils n’effectuent pas de pointage horaire ;
  • Leur autonomie réelle est respectée.

Dans le cas contraire, le forfait-jours pourrait être annulé par le Conseil des Prud’hommes, et l’employeur devra payer les heures supplémentaires (Cour de cassation, 15/12/2016, n°15-17.568 ; Cour de cassation, 27/03/2019, n°17-31.715).

Vérification des dispositifs de suivi de la charge de travail

Le suivi régulier de la charge de travail est obligatoire et doit permettre d’éviter toute surcharge incompatible avec le respect du droit à la santé et au repos.

Le CSE doit contrôler que l’entreprise a mis en place :

  • Des outils de suivi efficaces (relevé déclaratif, entretiens réguliers) ;
  • Un entretien au minimum annuel avec le salarié sur :
    • Sa charge de travail ;
    • Son organisation ;
    • L’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ;
    • Sa rémunération ;
    • Son droit à la déconnexion.

La jurisprudence impose un suivi effectif et régulier : un simple relevé annuel ou semestriel est insuffisant. Par contre, un entretien semestriel + un document de suivi mensuel validé par la hiérarchie sont considérés comme protecteurs par exemple.

Mise en œuvre d’un droit d’alerte en cas de surcharge

Le CSE peut exercer un droit d'alerte en cas :

  • D’atteinte à la santé physique ou mentale ;
  • De risques graves pour la sécurité des salariés.

En cas de doute sur la surcharge de travail d’un salarié ou d’un service, le CSE peut aussi demander une expertise.

L’expertise permet :

  • D’évaluer objectivement la situation ;
  • D’alerter formellement l'employeur ;
  • De proposer des mesures correctives.

Contrôle des conventions individuelles de forfait

Chaque salarié en forfait-jours doit avoir signé une convention individuelle. Si le salarié refuse de signer la convention individuelle de forfait, l’employeur ne peut l’appliquer car il s’agit d’une modification du contrat de travail que le salarié peut refuser.

Ces conventions doivent :

  • Être écrites et signées ;
  • Préciser le nombre exact de jours travaillés ;
  • Indiquer les modalités de suivi de la charge de travail.

À défaut, la convention est nulle et expose l’employeur au paiement d'heures supplémentaires.

Cas particulier du forfait-jours et de l’Accord de Performance Collective

L’Accord de Performance Collective (APC) offre aux entreprises la possibilité d’aménager la durée du travail, ainsi que les modalités d’organisation et de répartition du temps de travail, pour mieux s’adapter aux besoins économiques ou pour soutenir l’emploi.
L’une des particularités de ce mécanisme est que ses dispositions s’imposent automatiquement sur les clauses incompatibles des contrats de travail existants.
En cas de refus du salarié, l’employeur peut engager un licenciement fondé sur un motif spécifique, reconnu comme cause réelle et sérieuse.

Cependant, si l’APC prévoit la mise en œuvre d’un forfait annuel (en jours ou en heures), il doit respecter strictement le cadre légal applicable aux forfaits (articles L3121-53 à L3121-66 du Code du travail).

Cela implique notamment l'obligation d’obtenir l'accord exprès du salarié avant mise en œuvre, par la signature d'une convention individuelle de forfait.
L'APC ne permet donc pas d'imposer un forfait-jours ou un forfait-heures à un salarié qui n’était pas soumis à ce dispositif auparavant.

Un questions-réponses publié par le ministère du Travail apporte plusieurs précisions pratiques :

  • Si l'APC crée un nouveau dispositif de forfait (jours ou heures) :
    • Accepter l'APC ne vaut pas acceptation automatique du forfait : un salarié peut refuser de signer sa convention individuelle de forfait, sans que ce refus ne constitue une faute ou un motif de licenciement.
  • Si l'APC modifie un forfait existant :
    • Les dispositions de l’APC remplacent directement celles de la convention individuelle ou du contrat de travail initial, sans nécessité de signer une nouvelle convention.
    • Accepter l’APC emporte de facto acceptation de la modification du forfait.

Veille sur la protection de la santé et du repos

Le respect du droit à la santé et au repos est un objectif fondamental. Le CSE doit s'assurer que, pour les salariés en forfait-jours :

  • Le repos quotidien de 11h et le repos hebdomadaire de 24h sont respectés ;
  • L'amplitude journalière reste raisonnable ;
  • Les jours de repos sont effectivement pris.

Par exemple, le Comité d’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024 (Cojop) a été critiqué pour une utilisation abusive du forfait-jours avec des salariés travaillant jusqu'à 100 heures par semaine.
Une telle situation montre à quel point un contrôle régulier est indispensable.

Sanctions en cas de manquements

En cas d’irrégularité, les risques pour l’employeur sont élevés :

  • Nullité de la convention individuelle ;
  • Paiement des heures supplémentaires ;
  • Condamnation pour manquement à l’obligation de sécurité.

En effet, c’est à l’employeur, et non au salarié, d’assurer que le suivi est effectif et conforme.
Le salarié ne peut être tenu pour responsable d’un mauvais suivi (Cour de cassation, 11/06/2014, n°11-20.985).

Comptabilisation des heures de délégation des élus du CSE en forfait-jours

Lorsqu’un élu titulaire ou un représentant syndical au sein du CSE est soumis à un forfait-jours, un accord collectif peut organiser spécifiquement le mode de décompte de ses heures de délégation.
À défaut d’accord, les règles applicables aux élus en forfait-jours s’appliquent par analogie.

En pratique :

  • Le crédit d’heures de délégation est regroupé en demi-journées ;
  • Chaque demi-journée correspond à 4 heures de mandat ;
  • Ces demi-journées sont déduites du nombre annuel de jours travaillés fixé par la convention individuelle de forfait.

Lorsque le crédit d'heures restant est inférieur à 4 heures, l’élu bénéficie néanmoins d’une demi-journée complète, également retranchée de son volume annuel de jours travaillés.

Ce mécanisme s’applique aussi :

  • Aux représentants de section syndicale (RSS) ;
  • Aux délégués syndicaux (DS) ;
  • Aux délégués syndicaux centraux.

Le CSE est un acteur clé dans la sécurisation du forfait-jours.
Son rôle est non seulement de vérifier la conformité légale, mais surtout de prévenir les risques de surcharge et d’atteinte à la santé des salariés. Une vigilance rigoureuse permet aussi d’éviter de lourds contentieux.

CE Expertises, cabinet d’expertise comptable spécialisé dans l’accompagnement des CSE, peut faire le point sur l’application du forfait-jours dans votre entreprise, et notamment les questions à poser et les points à étudier lors de la consultation annuelle sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi. Contactez-nous pour en discuter !