Les heures de délégation permettent aux élus du Comité Social Économique (CSE) de remplir leurs missions sans perte de salaire. Au-delà des dispositions minimales fixées par le Code du travail, les accords collectifs peuvent améliorer le nombre d’heures allouées, leur rémunération, et leur gestion.
Cet article se concentre sur le paiement des heures de délégation, leur traitement en paie, les reports possibles, mais également les accords collectifs qui augmentent ces minimas.
Les dispositions légales : Heures de délégation et Code du travail
Les heures de délégation sont accordées aux :
- Élus titulaires du CSE ;
- Délégués syndicaux et représentants de section syndicale ;
- Membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles ;
- Représentants des salariés dans les sociétés anonymes.
Le Code du travail fixe un nombre d’heures de délégation minimum pour les élus du CSE, qui varie en fonction de la taille de l’entreprise. Ce contingent d’heures permet aux élus d'exercer leurs fonctions tout en étant rémunérés.
Par exemple, pour une entreprise de 50 à 74 salariés, chaque élu titulaire du CSE dispose d’au moins 18 heures par mois. Dans une entreprise de 300 à 499 salariés, ce contingent passe à 22 heures.
Sauf accord collectif contraire, le crédit d'heures du représentant du personnel sous forfait annuel en jours est regroupé en demi-journées venant en déduction du nombre annuel de jours travaillés fixé dans la convention, une demi-journée correspondant à 4 heures de mandat. Lorsque le crédit d'heures restant est inférieur à 4 heures, le représentant du personnel dispose d'une demi-journée venant, elle aussi, en déduction du nombre annuel de jours travaillés fixé dans la convention individuelle du salarié.
Le Code du travail fixe un minimum d'heures, mais ce contingent peut être augmenté par accord collectif.
Les membres suppléants n’ont pas de crédit d’heures spécifiques (Article L.2315-7 du Code du travail). Toutefois, en cas d’absence ou d’indisponibilité d’un titulaire, ils bénéficient du droit aux heures de délégation de ce dernier.
Les titulaires du CSE peuvent mutualiser leurs heures de délégation entre eux ou avec les suppléants.
Les heures de délégation sont rémunérées comme du temps de travail effectif et doivent être payées au taux normal. Elles ne peuvent entraîner aucune perte de salaire pour le salarié, quelle que soit sa rémunération (fixe ou variable). Le non-paiement des heures de délégation, dans la limite des durées légales et conventionnelles, est constitutif du délit d'entrave.
Les heures mensuelles de délégation ne peuvent pas être réduites en raison d’absences du salarié, que ce soit en cas de congés payés (Cassation criminelle, 14/02/1978, n°76-93.406), en cas d’activité partielle (Cassation Sociale, 10/01/1989, n°86-40.350) ou même de grève (Cassation Sociale, 27/02/1985, n°82-40.173).
Les heures de délégation ne peuvent pas non plus être proratisées, même en cas d’élection en cours de mois.
1) Le report des heures de délégation
Les heures de délégation doivent, par principe, être utilisée au cours du mois civil. Toutefois, par exception, les élus et les représentants syndicaux du CSE peuvent reporter une partie de leur crédit d’heures de délégation d’un mois sur l’autre.
Les heures non utilisées peuvent être reportées sur les 12 mois suivants, sans pouvoir dépasser 1,5 fois le crédit d'heures mensuel.
2) Dépassement des heures de délégation
A titre exceptionnel, le crédit d’heures de délégation peut être dépassé pour certains mandats :
- Les délégués syndicaux d’entreprise et d’établissement ;
- Les membres de la délégation du personnel et les représentants syndicaux au CSE et CSE central ;
- Le secrétaire et les membres du bureau du comité d’entreprise européen.
C’est la jurisprudence qui a illustré des cas de dépassement du crédit d’heures. Il s’agit de situations inhabituelles pour effectuer des démarches justifiées par l’urgence des mesures à prendre (Cassation criminelle, 03/06/1986, n°84-94.424), telles que :
- La mise en place d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) dans l’entreprise (Cassation sociale, 13/11/2002, n° 00-41.381) ;
- Une grève (Cassation sociale, 21/10/2020, n° 18-23.916) ;
- La restructuration de l’entreprise (Cassation sociale, 01/11/1990, n° 88-44.431).
En l’absence de circonstances exceptionnelles, le dépassement du crédit d’heures de délégation peut constituer un manquement aux obligations professionnelles ou une faute grave justifiant le licenciement de l’élu.
3) La mutualisation des heures de délégation
Les heures de délégation sont individuelles. En principe, il n’est pas possible de répartir les heures entre titulaires et suppléants.
Toutefois, d’importantes exceptions sont prévues :
- Les élus titulaires du CSE peuvent mutualiser leurs heures de délégation, dans la limite d’une fois et demi le crédit dont bénéficie le titulaire.
- Les délégués syndicaux désignés par un même syndicat peuvent répartir entre eux le temps dont ils disposent.
Dans tous les cas, l’employeur doit être informé du recours à la mutualisation des heures.
4) Cumul de mandats et heures de délégation
Lorsqu’un salarié cumule plusieurs mandats (délégué syndical, membre du CSE, etc.), il dispose d’un cumul d’heures proportionnel à ses différentes fonctions. Toutefois, le salarié doit veiller à bien répartir ces heures pour ne pas excéder le contingent prévu.
Certaines conventions collectives ou accords d’entreprise permettent une mutualisation des heures, facilitant la gestion pour les élus cumulant plusieurs mandats.
Pour mémo, le tableau suivant récapitule les cas possibles de cumul de mandats.
Mandat |
Membre CSE |
Représentant section syndicale |
Délégué syndical |
Délégué syndical central |
Représentant syndical auprès du CSE |
Membre CSE |
|
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Délégué syndical d’établissement |
Oui |
|
|
Oui |
Oui |
Délégué syndical central |
Oui |
|
Oui |
|
Oui |
Représentant syndical auprès du CSE |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
|
Représentant de proximité |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
5) Paiement des heures de délégation : traitement en paie et cas spécifiques
Traitement en paie | Les heures de délégation sont rémunérées au même titre que les heures travaillées. Elles sont considérées dans la catégorie « traitements et salaires » et sont soumises à l’impôt sur le revenu.Les sommes versées par les employeurs en paiement des heures de délégation des représentants du personnel constituent un élément de rémunération passible des cotisations de sécurité sociale, de la CSG et de la CRDS.Les heures de délégation effectuées au-delà du crédit d’heures sont payées en heures supplémentaires uniquement pour celles excédant la durée légale du travail. En cas de dépassement du contingent annuel, elles ouvrent droit à contrepartie obligatoire en repos. |
Travailleurs de nuit ou week-ends | Pour les travailleurs de nuit ou en horaires décalés, les heures de délégation peuvent poser des problèmes d'organisation. Les conventions collectives peuvent prévoir des ajustements spécifiques, comme le report des heures ou leur prise pendant les horaires de travail habituel. En cas de report ou d’impossibilité de prendre ces heures, elles doivent toujours être rémunérées.La majoration de travail de nuit s’applique aux heures de délégation d’un travailleur de nuit, même si elles sont effectuées en journée.La majoration s’applique également pour les salariés travaillant habituellement le week-end et bénéficiant à ce titre de majorations horaires, s’il utilise ses heures de délégation en semaine. |
Salariés à rémunération variable | Pour les salariés ayant une part de rémunération variable (prime sur objectifs, commission...), la rémunération des heures de délégation doit tenir compte de la moyenne des rémunérations perçues par le salarié. Ainsi, un élu à rémunération variable doit percevoir une compensation équivalente à la part variable qu’il aurait touchée en l’absence d’heures de délégation.Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont confirmé que les heures de délégation doivent être rémunérées sur la base de la rémunération totale du salarié, incluant les primes et les variables perçues régulièrement (Cassation sociale, 28 février 1996, n° 92-45.685). Cette approche vise à garantir que les heures de délégation n’entraînent pas de perte de revenu pour les salariés concernés. |
Frais de déplacement et remboursement | Les frais de déplacement et les frais de repas engagés par les représentants du personnel pour l'exercice de leur mandat sont pris en charge par l'employeur. Dans certaines entreprises, les élus doivent se déplacer pour exercer leur mandat (inspections, etc.). Les frais liés aux heures de délégation (transport, hébergement) peuvent faire l’objet de remboursements, prévus par des accords ou conventions collectives.Les dépenses exposées par les salariés pour les besoins de l'exercice de leur mandat de représentation du personnel ont le caractère de frais professionnels. En conséquence, un représentant du personnel qui a opté pour la déduction des frais réels peut déduire ces dépenses pour leur montant exact, sous réserve d'en justifier. Bien entendu, l'ensemble des allocations pour frais ou remboursements de frais éventuellement perçus de l'employeur ou du syndicat doit alors être rapporté par les intéressés à leur rémunération imposable. Lorsque le salarié n'opte pas pour la déduction de ses frais réels, les allocations spéciales destinées à couvrir les dépenses entraînées par l'activité de représentation du personnel et utilisées conformément à leur objet sont exonérées d'impôt sur le revenu en vertu des dispositions du 1° de l'article 81 du Code Général des Impôts (BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 n° 280). |
Si l’employeur veut contester l’utilisation qui est faite des heures de délégation, il doit saisir le Conseil des Prud’hommes (article L.2315-10 du Code du travail).
Deux situations sont à distinguer :
- Les heures prises dans le respect des heures de délégation : il y a une présomption de bonne utilisation des heures. L’employeur doit les payer avant de les contester (Cassation sociale, 05/04/2023, n°21-17.851) ;
- Les heures dépassant les heures normales de délégation : l’employeur n’a pas l’obligation de les payer à l’échéance normale. Le salarié doit d’abord prouver la conformité de l’utilisation de ces heures (Cassation sociale, 25/11/1997, n°95-43.412).
6) Accords collectifs pour l’amélioration du contingent d'heures de délégation
Les accords collectifs sont des outils essentiels pour ajuster le nombre d’heures de délégation des élus du CSE au-delà des minimas fixés par le Code du travail. De nombreuses entreprises négocient des accords spécifiques permettant d'augmenter ce contingent en fonction de leurs besoins, de la taille de l'entreprise, et/ou des circonstances exceptionnelles.
Ces aménagements reflètent une volonté de renforcer les moyens des représentants du personnel pour exercer leurs missions dans des contextes parfois complexes comme les restructurations ou les transformations internes.
Exemples d'accords collectifs qui ont significativement augmenté le contingent d’heures de délégation :
- Dans le secteur bancaire, des accords prévoient jusqu'à 100 heures par mois pour les membres du CSE, contre les 16 à 34 heures légales. Ces heures supplémentaires permettent aux élus de participer aux différentes instances de représentation et de traiter les nombreux dossiers sociaux et économiques complexes liés à ce secteur.
- Dans le secteur automobile, lors de restructurations importantes, des élus sont détachés à plein temps avec des crédits d'heures dédiés, permettant une disponibilité totale pour les négociations. Par exemple, chez Renault, certains élus CSE bénéficient d’une délégation de 500 heures par mois lors des phases critiques de restructurations et de PSE.
- Les entreprises de grande distribution (Carrefour, Auchan, etc.) disposent aussi d’accords qui prévoient des heures supplémentaires pour les représentants de proximité, assurant que les problématiques locales et les préoccupations des salariés des divers établissements soient traitées efficacement.
Des accords de droit syndical et sur le fonctionnement du CSE peuvent également être conclus et inclure :
- Des heures supplémentaires allouées pour les représentants de proximité, notamment dans les grandes entreprises multisites où les déplacements et les réunions peuvent prendre beaucoup de temps.
- Des crédits d'heures mutualisés : Certains accords permettent à plusieurs élus de mutualiser leurs heures afin de couvrir des besoins spécifiques, par exemple lors de négociations ou de consultations importantes.
Ces accords offrent aux élus la possibilité de s'investir pleinement dans leurs missions de représentation, sans que cela n’affecte leur rémunération ou leur productivité. Ces dispositifs facilitent également la coordination entre les différents niveaux de représentation au sein de l’entreprise, qu’il s’agisse des représentants du personnel local ou national.
Des accords collectifs pour augmenter le contingent d’heures de délégation dans un contexte de restructuration d’entreprise peuvent également être négociés :
Lors de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), de ruptures conventionnelles collectives (RCC) ou encore d’accords de performance collective (APC), il est courant de négocier des accords de méthode qui augmentent significativement les moyens alloués aux représentants du personnel.
- Accord chez Michelin : Lors d’un plan de restructuration, les élus du CSE ont obtenu un contingent d’heures supplémentaires pour accompagner le PSE et participer aux négociations. Les membres de la délégation bénéficiaient de 100 heures supplémentaires par mois, leur permettant de suivre toutes les étapes du processus de restructuration.
- Accords de méthode : Ces accords, conclus spécifiquement pour accompagner une transformation profonde de l'entreprise, peuvent inclure des heures supplémentaires pour les négociateurs des RCC (rupture conventionnelle collective), des PDV (plan de départ volontaire), ou d'autres dispositifs de gestion des effectifs. Par exemple, dans les entreprises du secteur aéronautique, des accords ont prévu un doublement des heures pour les négociations liées aux suppressions de postes en période de crise économique.
Le cas des représentants détachés à plein temps :
Dans certaines entreprises, il est prévu que certains élus soient détachés à temps plein pour exercer leur mandat. Ces élus ne sont plus contraints par un contingent d’heures et peuvent se consacrer entièrement à leurs missions syndicales ou représentatives. Cela se produit notamment dans des grandes entreprises telles qu’Air France ou SNCF, où le détachement permanent est nécessaire pour faire face à la complexité et au volume des négociations, ainsi qu'aux besoins constants de consultation.
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