Directive européenne sur la transparence salariale : Quel impact sur les pratiques françaises ?

20 mai 2025

L’égalité salariale Hommes/Femmes est un principe ancien du droit européen :

  • Dès 1961, la Charte sociale européenne posait le principe du « salaire égal pour un travail de valeur égale » ;
  • La version révisée de 1996 garantit l’égalité de traitement en matière d’emploi ;
  • La directive 2023/970 rappelle que la crise Covid a aggravé les inégalités salariales, en affectant prioritairement les femmes dans les secteurs précaires. Elle est donc conçue comme une réponse à un déséquilibre structurel renforcé par la pandémie.

En France, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes subsistent, même à niveau de compétence équivalent. D’après les données de l’Apec, une femme cadre perçoit en moyenne 6,9 % de moins que son homologue masculin. L’écart était de 13 % en 2020.
Ces inégalités de rémunération entre les sexes restent marquées en particulier dans les fonctions de cadre et avec l’avancée en âge. Le manque de clarté sur les salaires est d’autant plus important dans les secteurs les plus lucratifs, comme le droit, les technologies de l’information ou la gestion de projets. À l’inverse, les professions moins bien rémunérées – comme le nettoyage (où 84 % des offres mentionnent un salaire), l’enseignement (68 %) ou la restauration (66 %) – sont généralement plus transparentes.
Ce déficit de transparence alimente un sentiment d’iniquité : près d’un travailleur sur deux (44 %) pense ne pas être payé comme ses collègues occupant un poste équivalent. Les jeunes salariés sont particulièrement sensibles à cette situation : 59 % des moins de 35 ans envisagent de quitter leur poste à cause de ces écarts, une tendance encore plus marquée chez ceux percevant moins de 2.000 € par mois (65 %).

La Directive 2023/970 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit devra être intégrée au droit français d’ici le 7 juin 2026 au plus tard.

En raison du contexte politique, la transposition de la directive en droit français a pris du retard. Mais Astrid Panosyan-Bouvet, Ministre en charge du Travail et de l’Emploi a confirmé récemment que le projet de loi visant à transposer la directive 2023/970 relative à la transparence des rémunérations devrait être finalisé d’ici septembre 2025. Les discussions parlementaires sont prévues dans la foulée, au cours de l’automne. L’objectif affiché par la ministre est une mise en œuvre anticipée, idéalement avant la fin de l’année, soit bien avant l’échéance fixée au 7 juin 2026.
Les évolutions législatives restent à finaliser, mais les entreprises doivent anticiper dès à présent les impacts de cette réforme.

L’année 2025 s’annonce donc stratégique pour permettre aux entreprises de se conformer aux nouvelles obligations dès le début de l’année 2026. Les premiers employeurs concernés devront en effet transmettre leurs données au plus tard le 7 juin 2027, sur la base des informations relatives à l’année précédente.

Cet article décrypte les apports clés de la directive et détaille les impacts à prévoir de sa transposition en droit français.

1) Quelles seront les entreprises concernées et à quelles dates ?

  • Entreprises de ≥ 250 salariés : rapport annuel dès juin 2027 détaillant les écarts de salaire et les différents niveaux de rémunération des postes les moins qualifiés aux postes des cadres dirigeants ;
  • Entreprises de 150 à 249 salariés : ce même rapport mais tous les 3 ans, à partir de juin 2027 ;
  • Entreprises de 100 à 149 salariés : première échéance fixée au 7 juin 2031, puis tous les 3 ans ;
  • Entreprises de moins de 100 salariés : transmission sur la base du volontariat, par exemple pour attirer les candidats et se positionner comme un employeur soucieux de l’égalité professionnelle. Les États membres peuvent aussi, s’ils le souhaitent, imposer cette obligation via leur propre législation.

2) Quels sont les dispositifs d’égalité professionnelle déjà existants en France ?

Le cadre législatif français comprend quand même déjà plusieurs dispositifs en faveur de l’égalité professionnelle. L’un des plus emblématiques est l’index de l’égalité femmes-hommes, obligatoire pour toutes les entreprises d’au moins 50 salariés. Chaque année, ces structures doivent calculer et publier leur score. En cas de résultat insuffisant, elles sont tenues de mettre en œuvre des actions correctives pour réduire les écarts.

La loi Pacte du 22 mai 2019 a également renforcé les obligations de transparence pour les entreprises cotées en imposant la publication des écarts de rémunération entre les dirigeants et la moyenne des salariés, ainsi que la diffusion du salaire médian de l’entreprise.

Par ailleurs, la loi Rixain du 24 décembre 2021, adoptée pour favoriser une plus grande mixité dans les postes à responsabilités, impose aux entreprises de plus de 1 000 salariés d’atteindre d’ici le 1er mars 2026 un minimum de 30 % de femmes et 30 % d’hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances de gouvernance.

Cependant, malgré ces avancées, aucune législation française ne rend actuellement obligatoire une transparence complète des salaires. La directive européenne à venir marque donc une rupture majeure dans un pays où le sujet des rémunérations demeure largement tabou.

3) Quelles sont les grandes lignes de la directive européenne ?

La directive s’applique à l’ensemble des employeurs, publics comme privés, et concerne tous les travailleurs, quels que soient leur type de contrat (CDI, CDD, intérimaires) ou leur temps de travail (temps plein, temps partiel). Les candidats à l’embauche sont également couverts.

Une plus grande transparence avant l’embauche :

Les règles encadrant le processus de recrutement vont évoluer pour garantir une meilleure équité salariale :

  • Les offres d’emploi devront mentionner clairement le niveau de rémunération ou la fourchette salariale proposée pour le poste. Les formules vagues du type « rémunération selon profil » ou « selon expérience » ne seront plus autorisées ;
  • Il sera également interdit aux recruteurs de s’enquérir du salaire antérieur du candidat. La rémunération devra être déterminée uniquement en fonction des responsabilités et du contenu du poste proposé ;
  • Par ailleurs, chaque candidat pourra demander à connaître les critères utilisés au sein de l’entreprise pour fixer les salaires et déterminer les évolutions salariales.

Le droit à l’information pour les salariés en poste :

Les salariés bénéficieront d’un véritable droit d’accès à l’information concernant leur rémunération. Ils pourront notamment solliciter :

  • Le niveau de rémunération correspondant à leur fonction ;
  • Les critères appliqués pour accorder des augmentations ou des promotions ;
  • La moyenne des salaires des personnes occupant un poste similaire.

Si une différence de rémunération supérieure à 5 % est constatée entre deux personnes exerçant un emploi équivalent, l’entreprise devra apporter une justification fondée sur des critères objectifs et non discriminatoires. En l’absence de justification valable, elle sera tenue de corriger cet écart.

Une information de ce droit d’accès aux informations salariales devra être faite tous les ans à chaque salarié.

L’égalité salariale pour un même poste ou un poste à valeur équivalente :
L’un des piliers de la directive européenne réside dans l’obligation faite aux États membres d’assurer que les entreprises mettent en place des systèmes de rémunération garantissant l’égalité entre les femmes et les hommes, que ce soit pour un poste identique ou pour des fonctions équivalentes en termes de valeur.

Un emploi est considéré comme « équivalent » s’il est évalué sur la base de critères neutres, objectifs et exempts de toute discrimination liée au genre. Ces critères de référence comprennent quatre dimensions essentielles :

  • Les compétences requises ;
  • Les efforts fournis ;
  • Les responsabilités assumées ;
  • Les conditions de travail.

Seuls les critères pertinents en lien direct avec le poste doivent être pris en compte. D’autres éléments peuvent s’y ajouter à la seule condition qu’ils soient justifiés et applicables de manière neutre.
Ces grilles d’évaluation doivent permettre de comparer la valeur des emplois, même s’ils relèvent de métiers différents. Deux postes qui ne partagent pas le même intitulé ou la même fonction peuvent donc être considérés comme équivalents si les critères ci-dessus sont similaires.

Le droit du travail français impose déjà, à travers l’article L.3221-2, le respect de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, à travail égal ou à valeur professionnelle équivalente.
Dans le prolongement de cette obligation, la directive européenne élargit la définition de la rémunération en y intégrant non seulement le salaire de base ou le traitement minimal, mais aussi l’ensemble des avantages accordés par l’employeur, qu’ils soient en espèces ou en nature, fixes ou variables. Ainsi, la notion de rémunération couvre notamment :

  • Le salaire fixe ;
  • Les éléments variables ou complémentaires, tels que :
    • Les primes ;
    • Les heures supplémentaires indemnisées ;
    • Les frais de déplacement ;
    • Les indemnités de repas ou de logement ;
    • Les formations prises en charge ;
    • Les indemnités de rupture ;
    • Les prestations versées en cas de maladie ou d’invalidité ;
    • Et les régimes de retraite professionnelle.

C’est la future transposition en droit français qui précisera la liste des éléments à intégrer, mais les entreprises ont tout intérêt à anticiper.

4) Quels seront les indicateurs salariaux obligatoires à publier ?

La directive impose aux États membres de garantir que les employeurs collectent et transmettent un ensemble de données relatives aux rémunérations, permettant une analyse précise des écarts entre les sexes. Chaque État devra d’ailleurs désigner l’organisme compétent pour compiler et publier ces données, ainsi que l’entité responsable de veiller à l’égalité de traitement.

Ces données devront porter sur :

  1. La différence moyenne de rémunération entre les hommes et les femmes ;
  2. L’écart constaté sur les éléments variables ou complémentaires de rémunération (primes, bonus, etc…) ;
  3. La médiane des écarts de salaires entre hommes et femmes ;
  4. La médiane des écarts spécifiques aux rémunérations variables ;
  5. La part respective de femmes et d’hommes percevant une part variable ou complémentaire ;
  6. La répartition femmes/hommes dans chaque quartile de rémunération ;
  7. Les écarts de salaire entre femmes et hommes pour chaque catégorie de poste, distinguant la rémunération de base et les éléments additionnels.

Pour les six premiers indicateurs, les États pourront compiler les données eux-mêmes à partir des déclarations administratives disponibles, comme celles transmises aux services fiscaux ou aux organismes sociaux. Ces statistiques auront vocation à être rendues publiques pour permettre des comparaisons entre entreprises, secteurs d’activité et territoires.
À la demande de l’inspection du travail ou de l’organisme national chargé de l’égalité, elles devront également être transmises, y compris les données disponibles pour les quatre dernières années.

Les informations devront être communiquées aux salariés et à leurs représentants. Les élus auront d’ailleurs accès aux méthodes de calcul employées.
Les salariés, leurs représentants, ainsi que les autorités compétentes auront aussi la possibilité de poser des questions complémentaires ou de demander des explications sur les écarts observés. L’entreprise devra répondre de manière argumentée et dans des délais raisonnables.
Si des écarts injustifiés sont identifiés, l’entreprise devra corriger la situation en collaboration avec les partenaires sociaux et les autorités de contrôle.

5) Que se passera-t-il en cas de déséquilibre des rémunérations ?

En cas de déséquilibre, l’entreprise devra réaliser une évaluation conjointe avec les représentants du personnel, lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

  • Un écart de rémunération non justifié ≥ 5 % est constaté entre les femmes et les hommes, pour une même catégorie de postes ;
  • Aucune explication fondée sur des critères neutres et objectifs n’est apportée ;
  • L’entreprise n’a pris aucune mesure corrective dans un délai de 6 mois suivant la diffusion des données salariales mettant en évidence cette disparité.

Cette évaluation devra analyser les catégories de travailleurs, les écarts constatés, et proposer des mesures concrètes à mettre en œuvre. L’analyse partagée entre l’employeur et les représentants des salariés doit inclure un ensemble d’éléments précis :

  • Une étude de la répartition femmes-hommes dans chaque groupe de postes définis ;
  • Des données sur les rémunérations moyennes, fixes et variables, pour chaque sexe au sein de ces catégories ;
  • L’identification des écarts de salaires moyens entre hommes et femmes pour chaque type de poste ;
  • Les causes possibles de ces écarts, dès lors qu’elles reposent sur des critères neutres, objectifs et exempts de toute discrimination liée au sexe, déterminées en concertation avec les représentants du personnel ;
  • La part respective de femmes et d’hommes ayant bénéficié d’une revalorisation salariale après un congé maternité, paternité, parental ou d’aidant, dans les cas où des augmentations ont été accordées dans leur catégorie durant la période concernée ;
  • Des actions correctives à mettre en œuvre si les écarts identifiés ne peuvent être justifiés de manière objective et équitable ;
  • Un retour d’expérience sur l’impact des mesures déjà appliquées lors d’éventuelles évaluations antérieures.

L’évaluation ainsi réalisée devra être mise à disposition des salariés et des élus du CSE. Elle devra également être transmise à l’organisme national de suivi compétent, et communiquée sur demande à l’inspection du travail ou à l’autorité en charge de l’égalité professionnelle.

L’employeur devra ensuite appliquer les actions prévues par l’évaluation, dans un délai raisonnable, en lien étroit avec les représentants des salariés.
Les mesures mises en place devront comprendre, notamment, une revue des systèmes d’évaluation et de classification des emplois existants, ou l’instauration de nouveaux outils garantissant une neutralité totale. L’objectif est d’éliminer toute forme de discrimination, qu’elle soit directe ou indirecte, en matière de rémunération.

6) Quel est le rôle du CSE en vue de la mise en œuvre de la directive européenne sur la transparence salariale ?

Même en l’absence de transposition formelle en droit français à ce jour, la transparence salariale deviendra une obligation en 2027, sur la base des données de l’année 2026. Il est donc vivement recommandé aux entreprises d’analyser sans attendre les bases actuelles de leur politique de rémunération et les critères d’évaluation qui la structurent, et ce en lien étroit avec le CSE.

Dès à présent, le CSE peut solliciter la Direction afin de s’assurer de leur sensibilisation au sujet de l’égalité de rémunération. Ce travail préparatoire est en effet indispensable pour :

  • Anticiper les indicateurs à publier ;
  • Définir des catégories de postes fondées sur des critères objectifs ;
  • Calculer certains indicateurs obligatoires, comme les écarts de salaire par catégorie de travailleurs (rémunération fixe et variables comprises), qui s’appuient précisément sur cette notion de « valeur équivalente » ;
  • Réaliser une évaluation conjointe avec le CSE des écarts de rémunérations, selon des critères reconnus comme objectifs ;
  • Et, en cas d’inégalité, démontrer que l’entreprise respecte bien ses obligations en matière de transparence salariale et d’égalité professionnelle.

Le risque juridique augmente, notamment en cas de disparités salariales non justifiées, ce qui suppose la mise en place de reportings fiables, genrés, auditables et traçables. L’intégration des enjeux de transparence salariale dans les procédures de contrôle interne va devenir une priorité. Les directions (ressources humaines et financières) doivent alors se préparer à produire régulièrement des analyses sur les écarts de rémunération.

Au-delà de l’aspect réglementaire, le non-respect des futures obligations en matière de transparence salariale pourra impacter directement l’attractivité de l’entreprise et sa capacité à fidéliser ses collaborateurs. Il faudra que les entreprises veillent à ce que les politiques de rémunération soient en cohérence avec les pratiques du marché,  anticipent les tensions internes liées aux salaires, et limitent les départs liés à des perceptions d’injustice ou des écarts.

CE Expertises, cabinet d’expertise comptable spécialisé dans l’accompagnement des CSE, peut vous aider à analyser la transparence salariale au sein de votre entreprise. Contactez-nous pour en discuter !