Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 ont imposé un regroupement des instances représentatives du personnel, fusionnant les délégués du personnel, les comités d’entreprise et les CHSCT en une instance unique : le Comité Social et Économique (CSE). Désormais, la représentation du personnel repose essentiellement sur deux mandats : les élus au CSE, et les délégués syndicaux qui demeurent les représentants des organisations syndicales.
Cette réforme s'est accompagnée d'une baisse tendancielle de la couverture des entreprises et des salariés par ces instances, particulièrement dans les petites entreprises. Par ailleurs, la centralisation des instances dans les structures multi-sites et la moindre présence des commissions spécialisées sur la santé et la sécurité soulèvent des questions sur la qualité du dialogue social et la prise en compte de certaines problématiques spécifiques. Il ressort également un manque de formation des représentants du personnel alors que le Code du travail impose des formations obligatoires en santé, sécurité et conditions de travail et en économie. Une étude montre que les conflits sociaux ont connu une intensification en 2023, avec 2,7 % des entreprises de 10 salariés ou plus déclarant au moins une grève, soit la proportion la plus élevée depuis 2010.
1) Couverture et implantation des CSE : une baisse tendancielle qui se modère
Dans un climat de tensions sociales accrues, le rôle des instances représentatives du personnel (IRP) est crucial. Pourtant, leur présence continue de reculer. Les impacts des ordonnances Macron se manifestent différemment selon la taille des entreprises.
L'étude “Les instances de représentation des salariés dans les entreprises en 2023” menée par la DARES 61 % des établissements de plus de 10 salariés disposent aujourd’hui d’une instance représentative du personnel élue. Un chiffre en légère baisse par rapport à 2017, où ils étaient 64 %. La tendance est encore plus marquée du côté des délégués syndicaux : leur présence concerne désormais 32 % des établissements, contre 37 % six ans plus tôt.
11 à 49 salariés : 55 % des établissements disposent d’une IRP ;
- 50 à 199 salariés : 79 % des établissements ont une IRP ;
- 200 à 299 salariés : 89 % des établissements ont une IRP;
- 300 salariés et plus : 97 % des établissements sont couverts.
L’absence de CSE concerne surtout les petites structures : près de 45 % des établissements de moins de 50 salariés ne disposent ni d’instance représentative du personnel élue, ni de délégué syndical.
À l’inverse, dans les grandes entreprises (300 salariés et plus), la représentation est quasi systématique. Dans plus de 85 % des cas, ces structures combinent à la fois un CSE et des délégués syndicaux.
Dans les entreprises multi-sites, 17 % des établissements sont représentés par une instance élue dont les membres ne sont pas présents sur place. La présence d’élus sur site a diminué de 5 points depuis 2017, tombant à 63 % des établissements multi-sites en 2023.
Pour compenser cette centralisation, les CSE peuvent désigner des représentants de proximité, mais leur implantation reste marginale. Seuls 4 % des établissements multi-sites disposent de représentants de proximité sans élus sur place.
Un obstacle majeur à l’implantation des CSE reste le manque de candidatures aux élections professionnelles, qui explique 54 % des cas d’absence d’IRP en 2023 (contre 50 % en 2017). Ce phénomène touche particulièrement les établissements de 20 salariés et plus (71 % des cas).
Toutefois, cette tendance baissière s'infléchit en 2023 avec seulement -0,4 point, contre près de -2,0 points en moyenne par an durant les quatre années précédentes. Cette modération coïncide avec une période de renouvellement des CSE dans de nombreuses entreprises. En effet, 46,6 % des entreprises dotées d’un CSE ont organisé une élection professionnelle, un chiffre plus élevé qu’en 2022, signe du renouvellement des mandats initialement mis en place en 2019.
2) Une restructuration inégale des commissions thématiques
Le regroupement des instances au sein du CSE s'accompagne de la possibilité ou de l'obligation de créer des commissions thématiques. En 2023, 54% des établissements couverts par un CSE sont dotés d'au moins une commission thématique.
Avec la suppression des CHSCT, les commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ont été mises en place et sont les plus répandues (51%), suivies des commissions formation (23%), égalité professionnelle (20%), et information et aide au logement (17%).
Dans les établissements d'au moins 300 salariés, où la CSSCT est obligatoire, cette commission est présente dans 93% des cas, ce qui reste inférieur à la présence des anciens CHSCT (99% en 2017). Les commissions santé, sécurité et conditions de travail peinent à s’implanter durablement.
Cette évolution soulève des préoccupations concernant le suivi des questions de santé et sécurité au travail. En 2023, seulement 33,2% des entreprises d'au moins 50 salariés disposant d'élus ont une CSSCT, contre 59,1% qui avaient un CHSCT en 2017. Le taux de couverture des salariés par une CSSCT (71,3% en 2023) demeure également inférieur à celui observé en 2017 pour les anciens CHSCT (85,0%).
3) Un manque de formation des représentants du personnel
D'après l'enquête “Relations professionnelles et négociations d'entreprise” menée en 2023, un autre enjeu majeur concerne la formation des élus du personnel. En 2023, plus de la moitié des entreprises dotées d’un CSE (52,1 %) déclarent que leurs élus n’ont suivi aucune formation.
Parmi elles :
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- 32,1 % expliquent que les élus avaient déjà été formés avant ;
- 17,3 % invoquent un refus ou une indisponibilité des élus ;
- 17,3 % déclarent ne pas savoir comment financer ces formations.
Les entreprises de moins de 50 salariés sont à nouveau plus impactées :
- 54 % des entreprises de 300 salariés ou plus ont formé au moins un élu ;
- Seulement 17,1 % des entreprises de 10 à 49 salariés ont dispensé une formation.
Pourtant, le Code du travail impose des formations obligatoires en santé, sécurité et conditions de travail (article L.2315-18) et en économie (article L.2315-63 pour les entreprises de plus de 50 salariés).
4) Une hausse significative des grèves et des mobilisations
Entre 2020 et 2022, 8 % des établissements ont été touchés par un mouvement de grève, un chiffre qui reste globalement stable par rapport à la période 2014-2016. Mais derrière cette stabilité apparente, la nature des conflits a évolué.
Les mobilisations interprofessionnelles, comme celles liées à la réforme des retraites, ont pris de l’ampleur : elles concernaient 2 % des établissements en 2017, contre 4 % en 2023.
À l’inverse, les conflits internes à l’entreprise ont nettement reculé, passant de 11 % à 6 %. La crise sanitaire a sans doute joué un rôle en freinant les mobilisations locales.
La DARES rapporte une perception divergente du climat social en entreprise :
- 93 % des employeurs estiment que le climat social est calme ;
- 33 % des représentants du personnel décrivent un climat tendu.
D’après l’étude de la DARES “Les grèves en 2023”, les conflits sociaux se sont nettement intensifiés cette année-là. En effet, 2,7 % des entreprises de 10 salariés ou plus ont déclaré au moins un mouvement de grève, un niveau inédit depuis 2010. Cette hausse est en grande partie liée à la contestation de la réforme des retraites, qui représente le principal motif de mobilisation dans 54 % des cas, devant les revendications salariales (43 %).
L’intensité des grèves — mesurée en journées individuelles non travaillées (JINT) — a bondi de 73 % en un an, atteignant 171 jours pour 1 000 salariés. Certains secteurs ont été particulièrement touchés : les transports et l’entreposage ont cumulé 894 jours de grève pour 1 000 salariés (contre 414 en 2022), tandis que l’industrie a elle aussi enregistré une nette hausse, avec 276 JINT pour 1 000 salariés.
Si les revendications salariales reculent légèrement en proportion, elles demeurent au cœur des préoccupations, notamment dans un contexte de forte inflation.
Les conditions de travail ont été un motif de conflit dans 18 % des entreprises concernées, tandis que l’emploi et le temps de travail sont restés des motifs secondaires.
L’étude met en lumière une hausse en 2023 des grèves liées à des revendications interprofessionnelles et sectorielles, au détriment des conflits internes à l’entreprise. Cette évolution traduit une externalisation du conflit social, avec une montée des mobilisations syndicales contre des réformes nationales :
- 70 % des entreprises concernées par une grève mentionnent des motifs exclusivement externes (hausse de 4 points) ;
- 15 % combinent des revendications internes et externes ;
- 15 % des entreprises indiquent des motifs exclusivement internes (en baisse de 5 points).
5) Une légère baisse de la négociation collective
Les ordonnances Macron ont renforcé la primauté de la négociation d'entreprise sur la négociation de branche, et étendu la liste des sujets sur lesquels des accords peuvent être signés par des élus du personnel.
Durant la période 2020-2022, 56% des établissements couverts par une IRP ont ouvert au moins une négociation collective, contre 58% de 2014 à 2016. Dans les établissements dotés d'un délégué syndical, cette proportion atteint 83%. Les négociations collectives se sont tenues dans 29% des établissements couverts par une instance élue mais dépourvus de délégué syndical, soit une légère hausse par rapport à 2014-2016 (+2 points).
Les thèmes de négociation restent relativement stables :
- Les salaires et primes (47 %) ;
- Les conditions de travail (36 %) ;
- L’égalité professionnelle (36 %) ;
- L’épargne salariale (32 %) ;
- La protection sociale complémentaire (31 %) ;
- Les changements technologiques et organisationnels (28 %, en forte hausse avec le développement du télétravail).
6) Un dialogue social en transformation
Les 3 études de janvier 2025 de la Dares mettent en lumière une transformation progressive des relations professionnelles, avec un dialogue social au sein des entreprises fragilisé par la baisse du nombre d’IRP et la faible formation des élus.
L’année 2023 s’est inscrite dans une double dynamique :
- Une montée des tensions sociales, traduite par une forte augmentation des grèves, notamment dans les secteurs stratégiques comme les transports et l’industrie ;
- Un affaiblissement des outils de dialogue social, avec une baisse du nombre d’IRP et une difficile adaptation aux nouvelles instances comme les CSSCT.
Afin de permettre un dialogue social plus structuré et efficace, les enjeux pour les années à venir sont donc :
- D’assurer une meilleure implantation des élus en encourageant la participation aux élections professionnelles, notamment dans les entreprises de moins de 50 salariés ;
- De renforcer la formation des élus du personnel en garantissant le respect des obligations de formation ;
- D’améliorer la négociation collective en anticipant les prochains mouvements sociaux et l’évolution des revendications, comme le pouvoir d’achat, question centrale de l’année 2024, ou le temps et les conditions de travail.
CE Expertises, cabinet d’expertise comptable spécialisé dans l’accompagnement des CSE, peut vous accompagner dans l’analyse du dialogue social dans votre entreprise et des enjeux pour les années à venir. Contactez-nous pour en discuter !