L’abandon de poste versus le droit de retrait : ce que le CSE doit savoir

14 novembre 2024

L’abandon de poste est une situation dans laquelle un salarié cesse de se rendre à son poste de travail, sans justification légitime et sans en informer son employeur.

L'article L 1237-1-1 du Code du travail, issu de l’article 4 de la loi 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, introduit la démission présumée.
La mise en application de cette présomption de démission est effective depuis le 19 avril 2023. Le Gouvernement a précisé les modalités de mise en œuvre de cette présomption par décret n° 2023-275 du 17 avril 2023.

Désormais, l'abandon de poste et l'absence injustifiée peuvent se distinguer dans le sens où ils peuvent avoir des conséquences différentes :

  • L'abandon de poste implique plus la volonté silencieuse du salarié de ne plus travailler et peut-être considéré comme une démission ;
  • L'absence injustifiée se définit par une absence non autorisée, mais suppose une plus courte durée avec l'intention de retourner travailler. Elle peut entraîner des sanctions.

Cet article analyse les fondements juridiques de l'abandon de poste, les impacts, ainsi que les alternatives. Il compare également l’abandon de poste au droit de retrait, souvent confondu mais juridiquement distinct.

1) Quel est le cadre juridique de l’abandon de poste ?

L'abandon de poste est une absence injustifiée et non autorisée, qui résulte d'une décision unilatérale du salarié de ne plus se présenter à son travail. Contrairement à une absence autorisée ou à un congé, l'abandon de poste n'est pas encadré par une demande préalable ou une autorisation de l'employeur.

Le Code du travail ne fournit pas de définition précise de l'abandon de poste. Cependant, la jurisprudence et la doctrine ont permis de clarifier ses contours.

La jurisprudence considère que l’abandon de poste est caractérisé par une absence volontaire et injustifiée du salarié, prolongée et non autorisée, compromettant ainsi le bon fonctionnement de l’entreprise.

2) Quelles sont les conséquences juridiques de l’abandon de poste ?

La nouvelle réforme du chômage, applicable depuis le 19 avril 2023, encadre et simplifie la procédure à suivre en cas d'abandon de poste. Désormais, est présumé démissionnaire, le salarié qui :

  • A abandonné volontairement son poste ;
  • Ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l'employeur.

Le salarié ne respecte alors pas son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi. Cette présomption de démission a pour objectif de limiter le recours des salariés à la technique de l'abandon de poste, notamment lorsqu'ils souhaitent que leur relation de travail cesse tout en étant indemnisée par l'assurance chômage.

Pour autant, l'employeur n'est pas obligé de faire jouer cette présomption à l'égard du salarié. Il a toujours le choix d'opter pour le licenciement. 

L’employeur peut aussi décider de ne pas mettre en demeure le salarié qui a abandonné volontairement son poste. Dans ce cas, le salarié est maintenu dans les effectifs de l’entreprise. Le contrat de travail n’est pas rompu mais seulement suspendu. La rémunération du salarié n’est donc pas due.

Une des questions-réponses publiées par le Ministère du Travail sur la présomption de démission en cas d'abandon de poste posait un problème d'interprétation. Elle semblait indiquer que la démission était exclusive du licenciement.
Le Conseil d’Etat a donc été saisi via un recours pour excès de pouvoir le 27 avril 2023, puis le 03 mai 2023 d’une demande d’annulation du décret de 19 avril 2023 par le syndicat Force Ouvrière, pour faire annuler la phrase de la question-réponse qui confirmait que la présomption de démission en cas d'abandon de poste était exclusive du licenciement.
A ce jour, les questions-réponses concernées ne sont plus totalement accessibles. Suite à multiples critiques et interrogations, le Ministère les a supprimées, dans l’attente notamment que le Conseil d’Etat se prononce plus en détail sur le sujet.

3) Abandon de poste et licenciement : les points clés ?

Avant de sanctionner un salarié pour abandon de poste, l’employeur doit le mettre en demeure de justifier son absence. Cette mise en demeure se fait généralement par lettre recommandée avec accusé de réception. L’employeur doit inviter le salarié à reprendre son poste ou à justifier son absence.

Si le salarié ne répond pas ou ne reprend pas son travail dans un délai raisonnable, et que cette absence compromet le bon fonctionnement de l’entreprise, l'employeur peut sanctionner le salarié ou entamer une procédure de licenciement.

Parmi les sanctions les plus courantes :
- Avertissement ou Blâme ;
- Mise à pied disciplinaire ;
- Licenciement pour faute grave.

Si le salarié ne justifie pas son absence, l'employeur a aussi la possibilité de demander une indemnité compensatrice de préavis non effectué devant le conseil de prud'hommes. Cette indemnité due par le salarié est fixée forfaitairement à la rémunération, relativement à la rémunération que le salarié aurait perçue s'il avait exécuté son préavis. Ayant un caractère forfaitaire, elle est due quelle que soit l'importance du préjudice subi par l'employeur (Cass. Soc., 9 mai 1990, n°88-40044).

Par ailleurs, l'employeur doit tenir compte de l'ancienneté du salarié et de son dossier disciplinaire pour apprécier la gravité de son comportement. Ainsi, l'employeur ne peut pas licencier un salarié qui s'absente une semaine sans justification, alors qu'en 25 ans de carrière, le salarié a eu un comportement irréprochable (Cass. Soc., 7 mars 2006, n°04-43782).

4) Abandon de poste et présomption de démission : les points clés ?

Si l’employeur veut avoir recours à la démission présumée, il doit respecter une procédure par laquelle il adresse un courrier recommandé au salarié, lui demandant de justifier son absence et de reprendre son poste, au plus tard à une date fixée dans un délai raisonnable.
Ce délai court à compter de la 1ère présentation du courrier.

Le Conseil Constitutionnel a bien rappelé sur ce point que « le salarié ne peut être réputé démissionnaire qu’après avoir été mis en demeure, par son employeur, de justifier d’un tel motif et de reprendre son poste dans un délai déterminé, qui ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’État ».

Si le salarié ne reprend pas son poste de travail avant que le délai expire, il sera présumé démissionnaire, même en l'absence d'une manifestation de volonté claire et non équivoque.

Si le salarié répond à la mise en demeure de l’employeur en justifiant son absence à son poste de travail par un motif légitime, la procédure de présomption de démission ne doit pas être conduite à son terme.

5) Quel est l’impact de l’abandon de poste sur les droits aux allocations chômage ?

Le licenciement dû à un abandon de poste peut poser des difficultés pour l'ouverture des droits au chômage. En effet, l’article L.5422-1 du Code du travail précise que le salarié doit être involontairement privé d’emploi pour prétendre à une allocation chômage.

Dans la majorité des cas, Pôle Emploi, ou France Travail désormais, considère le licenciement pour abandon de poste comme une perte involontaire d'emploi, ouvrant ainsi le droit aux allocations chômage.
Toutefois, depuis le 19 avril 2023, si l’employeur engage une procédure de présomption de démission, France Travail ne considèrera pas la fin de contrat comme une perte involontaire d’emploi, n’ouvrant ainsi pas le droit aux allocations chômage.

6) Quelles sont les alternatives pour le salarié ? Démission ou Rupture conventionnelle ?

Le salarié qui envisage de quitter son emploi sans préavis a plusieurs options légales, notamment la démission ou la rupture conventionnelle. Contrairement à l'abandon de poste, ces options sont encadrées par des procédures spécifiques et permettent de garantir une fin de contrat en bonne et due forme, sans risque de sanctions disciplinaires ou de perte de droits.

- La démission : Elle permet au salarié de quitter son poste après un préavis, sans conséquences disciplinaires, mais elle ne donne pas droit aux allocations chômage, sauf dans des cas exceptionnels (démission pour motif légitime).

- La rupture conventionnelle : Elle offre la possibilité d’un départ négocié avec l’employeur, ouvrant droit aux indemnités chômage et permettant de bénéficier d'une indemnité de rupture. (tout savoir en 10 points sur la RCC)

7) Quelle comparaison avec le droit de retrait ?

Le Conseil constitutionnel, se référant à la jurisprudence, est venu préciser que « l'abandon de poste ne peut pas revêtir un caractère volontaire si, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est justifié par un motif légitime, tel que des raisons médicales, l'exercice du droit de grève, l'exercice du droit de retrait, le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d'une modification unilatérale d'un élément essentiel du contrat de travail ».

Le droit de retrait précisément, est encadré par l'article L4131-1 du Code du travail, qui permet au salarié de se retirer d’une situation de travail qu’il juge dangereuse pour sa santé ou sa sécurité. Ce droit ne nécessite pas d'autorisation préalable de l'employeur, mais il doit être exercé de manière raisonnable.

Pour que le droit de retrait soit reconnu, les conditions suivantes doivent être remplies :
- Le salarié doit être confronté à un danger grave et imminent ;
- Le retrait doit être proportionné à la situation de danger et ne doit pas être abusif.

Contrairement à l'abandon de poste, le droit de retrait ne peut donner lieu à une sanction disciplinaire. La jurisprudence rappelle que l’employeur ne peut sanctionner un salarié exerçant son droit de retrait dans une situation de danger réel, même si ce danger n’est finalement pas avéré.

Pour l’employeur, la gestion de l'abandon de poste nécessite de suivre une procédure rigoureuse et respectueuse des droits du salarié, en assurant la traçabilité de la mise en demeure et en observant les délais légaux avant tout licenciement. Pour toute question, vous pouvez nous contacter. CE Expertises, cabinet d’expertise comptable spécialiste du CSE, peut vous accompagner dans la bonne compréhension de cette application.

Pour aller plus loin :