Face au nombre grandissant d’entreprises déclarant recourir et déployer des outils d’intelligence artificielle, un règlement européen a été adopté le 21 mai 2024. Le 13 mars 2024, un rapport français a vu le jour. D’autres rapports sortent également. Que prévoient concrètement ces textes ? Comment le CSE peut-il se saisir de cette question ? Cet article répond à 5 questions clés sur le sujet.
Le CSE a en effet un rôle à jouer dans le pilotage de l’IA dans l’entreprise. A court terme, le CSE peut déjà utiliser les 3 consultations annuelles pour identifier les projets en cours et à venir. Il peut dans ce cadre mandater un expert-comptable aux frais de l’employeur pour l’aider à mieux cerner ce qui est déjà en cours ou à venir. Si les projets sont plus aboutis, le CSE peut recourir à l’expertise spécifique en cas d’introduction d’outils numériques.
1. Quelles sont les recommandations européennes en matière d’intelligence artificielle ?
Les Etats de l’Union Européenne ont approuvé le 21 mai 2024 le Règlement européen sur l’intelligence artificielle. Le Conseil de l’Europe avait adopté le 17 mai 2024 un Traité international sur l’IA, pour garantir une intelligence artificielle respectueuse des droits fondamentaux, adopté par 46 pays membres.
L’objectif de ces cadres réglementaires européens est notamment de :
- veiller à ce que les systèmes d’IA respectent les droits fondamentaux des salariés
- interdire le recours à certaines pratiques
- exiger la mise en place d’une sécurité spécifique pour les systèmes d’IA à haut risque
- harmoniser les règles en matière d’IA applicables aux systèmes qui interagissent avec des personnes.
L’objectif européen est d’encourager et d’aider les employeurs, avec les représentants du personnel, à se saisir du sujet des transformations numériques. Les textes européens prônent une logique de « partenariat ».
2. Quelles sont les recommandations du rapport français sur le recours à l’IA et le dialogue social en entreprise ?
Le 13 mars 2024, un rapport commandité par Elisabeth Borne en août 2023, a été établi par la Commission sur l’Intelligence Artificielle pour renforcer la position de la France en matière d’IA.
Ce document s’accompagne d’une partie non publique, à l’attention de la Direction Générale du Travail (DGT), avec des recommandations sur les modalités des mesures envisagées.
Parmi les 25 recommandations du rapport figurent notamment 2 recommandations particulièrement intéressantes pour les CSE :
- une recommandation d’évolution du Code du travail en l’absence d’information-consultation du CSE sur l’IA par les entreprises ;
- une recommandation de rédaction d’un accord national interprofessionnel (ANI) sur l’IA.
Concernant le rôle actuel du CSE, le rapport indique que « Le droit à l’information et l’avis éclairé des représentants des salariés sur les transformations au travail sont en pratique peu mobilisés par les entreprises et les administrations. Cela tient à ce que l’intelligence artificielle et le numérique en général sont présentés comme des sujets techniques avant tout (…) ».
Mais la recommandation n° 5 vise bien à faire du dialogue social « un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’intelligence artificielle », sans toutefois apporter plus de détails. C’est dans la partie non publique du rapport qu’il est suggéré que le Code du travail soit modifié pour contraindre explicitement les entreprises à négocier sur le sujet de l’IA.
Concernant l’élaboration d’un ANI sur l’IA, le rapport non public destiné à la DGT appelle les partenaires sociaux à la conclusion d’un accord interprofessionnel sur le numérique et l’intelligence artificielle, en déclinaison de l’accord européen de 2020 sur les transformations numériques.
Ces recommandations confirment l’importance donnée sur le sujet de l’IA aux partenaires sociaux, et ainsi à la nécessité pour les CSE de se saisir du sujet de l’IA dans l’entreprise dès à présent.
3. Quels sont les autres rapports qui étudient le recours à l’IA en entreprise et les conséquences potentielles ?
D’autres rapports ont analysé l’impact de l’IA sur le travail en entreprise et formulé des propositions. C’est le cas de LaborIA, un laboratoire de recherches créé par le Ministère du Travail et l’Inria, visant à analyser et anticiper les conséquences de l’apparition de l’IA sur le monde du travail, qui a publié les résultats de son enquête le 17 mai 2024.
L’enquête apporte notamment des recommandations susceptibles de nourrir le dialogue social technologique autour de l’IA, comme :
- « partir du travail réel pour penser la place et le rôle des systèmes d’IA »
- « garantir la co-conception des systèmes d’IA et organiser le dialogue en continu »
- « mettre l’IA au service de la sécurisation des travailleurs ».
- (…)
Un livre blanc « Risques et opportunités de l’IA dans la métallurgie », élaboré en 2020 par le Learning Lab Human Change du Cnam, premier laboratoire orienté recherche sur la transformation numérique et l’IA en lien avec l’humain dans les organisations, formule lui aussi des préconisations telles que :
- « former les partenaires sociaux à une culture IA »
- « partager l’information sur la data avec les partenaires sociaux »
- « partager avec les partenaires sociaux la stratégie IA de l’entreprise »
- « co-construire avec les partenaires sociaux un cadre de confiance ».
Il ressort de tous ces textes que face au développement de l’IA en entreprise, le dialogue social devra nécessairement accompagner les mutations du travail afin de faire en sorte que l’impact en soit positif pour les salariés.
4. Dans quels cas le CSE peut-il recourir à l’expertise spécifique en cas d’introduction d’outils numériques ?
Face à l’introduction d’une nouvelle technologie liée à l’IA ou en cas de projet de déploiement de l’IA dans l’entreprise, le CSE doit s’interroger sur l’impact pour les emplois, mais aussi sur la santé des salariés et leurs conditions de travail.
L’article 2315-94 du Code du travail ouvre par ailleurs aux CSE des entreprises d’au moins 50 salariés, le droit de recourir à divers experts. Il prévoit spécifiquement ce recours en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité, ou les conditions de travail.
Qu’est-ce qu’une nouvelle technologie ?
Une nouvelle technologie est une technologie différente de celle habituellement utilisée. Ce n'est pas nécessairement une technologie qui n'a jamais été mise en œuvre. Une consultation du CSE sera nécessaire dans la mesure où cela va nécessiter des adaptations de poste, des formations pour le personnel ou si les conditions de travail peuvent être affectées.
Qu’est-ce qu’un projet de déploiement de l’intelligence artificielle en entreprise ?
Un projet de déploiement de l’IA correspond principalement à l’automatisation de certaines tâches même complexes, ou de la digitalisation massive des activités de l’entreprise.
Le CSE peut donc faire appel à un expert habilité en cas d'introduction de nouvelles technologies, ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité, ou les conditions de travail, les 2 critères étant indépendants l’un de l’autre.
En effet, dans un jugement du 15 avril 2022, le Tribunal judiciaire de Pontoise a jugé pour la 1ère fois que l’introduction d’une nouvelle technologie justifie à elle-seule le recours à une expertise par le CSE, sans nécessité de prouver des répercussions sur les conditions de travail des salariés.
5. Le CSE peut-il se servir des consultations annuelles pour identifier les projets en cours ou à venir et les impacts sur l’emploi et les conditions de travail ?
Au regard de la complexité et de la technicité du sujet de l’IA, le CSE peut recourir à une expertise en la finançant avec sa subvention de fonctionnement.
Dans le cadre des 3 consultations annuelles, le CSE est habilité à poser toutes les questions qu’il souhaite pour mieux comprendre la situation de son entreprise. Il peut également mandater un cabinet d’expertise-comptable pour l’aider à mieux la comprendre. Dans le cadre de nos missions, par l’étendue des données auxquelles nous avons accès, nous pouvons très facilement repérer les projets en cours ou à venir : le tableau ci-dessous récapitule le type de données qui nous servent à repérer l’étendue du déploiement de l’IA dans une organisation.
Nature de la consultation |
Données pouvant servir pour cerner le déploiement de l’IA |
Situation économique et financière | Indentification des prestataires externes (consultants, SSII,…) spécialisés dans l’IA Charges des groupes projets sur le sujet Investissements réalisés dans le domaine de l’IA (….) |
Politique sociale, conditions de travail et emploi | Formations liées à l’IA organisées pour certaines personnes Recrutements de profils liés à l’IA Expérimentations en cours dans certains services (….) |
Orientations stratégiques | Projets à l’étude Budget d’investissements dans des outils liés à l’IA (…) |
CE Expertises peut vous aider à analyser l’impact de l’IA dans votre entreprise et à vous préparer aux échanges à avoir avec votre Direction. Contactez-nous pour en discuter.
Pour aller plus loin :