L'Unité Économique et Sociale (UES) est une construction juridique issue de la jurisprudence, permettant de considérer plusieurs entités juridiquement distinctes, mais économiquement et socialement liées, comme une seule entreprise aux fins de représentation du personnel et d'autres obligations sociales.
Elle est désormais encadrée par l’article L.2313-8 du Code du travail.
L'Unité Économique et Sociale constitue un outil puissant pour garantir une gestion sociale homogène entre des entités juridiquement distinctes. Le respect des critères légaux et des obligations en matière de négociation et de gestion des droits collectifs et individuels est essentiel pour sécuriser juridiquement le périmètre de l’UES.
Cet article explore en détail les critères de reconnaissance, les implications pratiques, les questions liées aux droits collectifs et individuels, ainsi que les obligations spécifiques comme le calcul de l'index égalité professionnelle.
1) Qu’est-ce qu’une Unité Economique et Sociale (UES) ?
L’UES est une notion jurisprudentielle regroupant plusieurs entités juridiquement distinctes (sociétés, associations, etc.) avec des liens étroits, pour être considérées comme une seule entreprise dans le cadre de la représentation du personnel.
Les entités doivent être juridiquement distinctes et dotées de la personnalité morale.
Une UES ne peut inclure :
• Des établissements d'une même société ;
• Une société et un de ses établissements ou services ;
• Des entités où la représentation du personnel diffère (ex. : collectivité territoriale et organisme privé).
L'UES repose sur deux critères cumulatifs :
- Unité économique :
• Similarité ou complémentarité des activités entre entités.
• Concentration des pouvoirs de direction.
- Unité sociale :
• Communauté de travail homogène, reflétée par des conditions sociales et de travail similaires, des avantages communs, une convention collective commune, ou une politique salariale unique.
• Permutabilité possible des salariés entre les entités.
Ces critères permettent de démontrer que, malgré leur indépendance juridique, les entités fonctionnent comme une seule entreprise.
Il existe des particularités :
- Entités sans personnel : Une société sans personnel peut être incluse dans une UES si elle remplit les critères d'unité économique et sociale.
- Entités n'employant que des cadres : Une UES peut être reconnue entre des entités regroupant différentes catégories de personnels complémentaires.
- Groupes de sociétés : Une UES peut exister dans un groupe, même sans comité de groupe, à condition que les critères d'unité soient remplis.
2) Comment l’UES est-elle mise en place ?
L’UES peut être reconnue :
• Par accord collectif : L'UES peut être reconnue par un accord conclu entre les organisations syndicales représentatives des entités concernées, et peut être intégré dans un protocole préélectoral ou d'autres accords (intéressement, PSE, etc.) ;
• Par décision judiciaire : En l'absence d'accord, les juges peuvent reconnaître l'UES après analyse des critères précités. La demande peut être faite par les employeurs, les salariés, le CSE ou les syndicats.
3) Quels sont les effets de la reconnaissance d’une UES ?
- Droits collectifs :
• Obligation de mettre en place un Comité Social et Économique (CSE) commun à l'UES ;
• Création de CSE d'établissements et d'un CSE central si plusieurs établissements sont inclus dans l'UES ;
• Possibilité pour les syndicats représentatifs de désigner des délégués syndicaux dans le cadre de l’UES et de mettre fin aux mandats antérieurs ;
• Harmonisation des politiques sociales et gestion centralisée des avantages sociaux et culturels ;
• Le conseil d’entreprise est seul compétent pour négocier, conclure et réviser les accords d’entreprise. En application de l’article L. 2321-10 du Code du travail, il peut être institué par accord d’entreprise conclu par les syndicats représentatifs, soit au niveau d’une ou de plusieurs entreprises composant l’UES, soit au niveau de l’UES ;
• Index égalité femmes/hommes : calcul et publication au niveau global de l’UES, lorsque celle-ci dépasse 50 salariés.
- Droits individuels :
• Chaque entité de l'UES reste employeur de ses salariés.
Par exemple, une clause contractuelle permettant à un employeur de muter un salarié dans une autre société de l’UES est nulle car cela constitue un changement d’employeur qui nécessite l’accord du salarié ;
• Mention étendue des droits en cas de licenciement ou transfert de salariés.
Pour le transfert de la totalité des salariés d’une entité de l’UES vers une autre entité de l’UES, le Code du travail l’assimile à un transfert partiel dès lors que cette entité ne constitue pas un établissement distinct, c’est-à-dire qu’un comité d’établissement n’est mis en place au niveau de l’entité transférée ;
• Principe d'égalité de traitement applicable au sein d'un même établissement de l'UES, mais pas au niveau de l’UES. La seule existence de l’UES ne suffit pas à élargir l’égalité de traitement des salariés.
Par contre, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat considèrent qu’en cas de licenciement dans une entreprise de l’UES, le salarié peut se faire assister par la personne de son choix appartenant à n’importe quelle entreprise de l’UES. La lettre de convocation à l’entretien préalable doit donc mentionner cette faculté étendue à l’UES, sous peine d’irrégularité de la procédure.
4) Une UES peut-elle conclure des accords d’entreprise ?
Le Code du travail reconnaît ponctuellement l’Unité Économique et Sociale (UES) comme un niveau de négociation collective, notamment pour :
• La mise en place du CSE (article L2313-8) ;
• Le conseil d’entreprise (article L2321-10) ;
• Les accords de PSE (article L3322-2) ;
• Les accords de participation (article L3324-8).
La pratique a étendu cette reconnaissance, et la Cour de cassation n’a jamais contesté cette évolution. Le Conseil d’État a même confirmé qu’un accord majoritaire sur un PSE peut être conclu au niveau de l’UES (Conseil d’Etat, 2 mars 2022, n° 438136).
Pour être valide, un accord d’UES doit respecter les conditions des accords d’entreprise (article L2232-12). La représentativité des syndicats est évaluée au niveau de l’UES, et les règles des entreprises sans délégués syndicaux s’y appliquent également.
Toutefois, chaque entreprise de l’UES étant juridiquement distincte, l’accord doit être signé par le représentant légal de chaque entreprise ou par une personne détenant un mandat exprès pour représenter toutes les entités.
Le Conseil d’État a précisé qu’un accord au sein d’une UES qui n’a pas de personnalité morale doit être signé par des syndicats représentatifs au niveau de l’UES et par toutes les entreprises concernées ou leur mandataire (Conseil d’Etat, 2 mars 2022, n° 438136).
Un arrêt de la Cour de cassation du 6 mars 2024 (n° 22-13.672) a également clarifié que les accords conclus au sein d’une UES ont le statut d'accords d'entreprise. Ils s'appliquent à toutes les entités de l'UES et peuvent traiter de sujets tels que le recours au travail intermittent ou l'organisation du CSE.
Les syndicats représentatifs de chaque entité doivent systématiquement être conviés aux négociations portant sur la reconnaissance ou la modification du périmètre de l'UES.
Les entreprises d'une UES peuvent donc appliquer des dispositions collectives comme la participation des salariés, soit à travers :
• Un accord unique couvrant l'ensemble de l'UES ;
• Des accords distincts, propres à chaque société, mais englobant tous leurs salariés.
5) Comment est calculée la participation dans une UES ?
Chaque société de l’UES calcule sa réserve spéciale de participation (RSP) selon la méthode de droit commun, sauf disposition dérogatoire dans l’accord.
Il est possible de calculer la participation au niveau consolidé si les entreprises de l’UES entrent dans le même périmètre de consolidation des comptes (selon une circulaire du 15 mai 2007).
Les salariés de toutes les entreprises membres de l'UES ont droit à une part de la réserve globale, basée sur les réserves constituées dans chaque entreprise.
Deux approches comptables sont possibles :
1. Répartition basée sur les contributions réelles des entreprises bénéficiaires
• Seules les entreprises bénéficiaires comptabilisent une charge de participation ;
• Les sociétés déficitaires ne participent pas au financement de la réserve mais leurs salariés peuvent bénéficier de la distribution ;
• Exemple :
• Entreprise A (bénéficiaire) constitue une RSP de 100.
• Entreprise B (déficitaire) n’a pas de réserve à constituer mais ses salariés reçoivent une part de la réserve globale (financée par A).
• Comptabilisation : A enregistre une charge de 100, B aucune.
2. Répartition prévue par un accord d’UES
• Toutes les entreprises de l’UES, bénéficiaires ou déficitaires, supportent une partie de la charge de participation ;
• La répartition peut se faire de manière uniforme ou au prorata de la masse salariale de chaque entreprise ;
• Chaque entreprise enregistre une charge pour la participation, selon les modalités définies.
6) Quelles sont les règles de l’index égalité professionnelle femmes/hommes au sein de l’UES ?
Lorsqu’un CSE central est constitué au niveau d’une UES, l'index égalité professionnelle doit être calculé sur l'ensemble des entités formant l'UES. Les indicateurs sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes doivent être calculés au niveau de cette UES.
Seules les UES d’au moins 50 salariés doivent néanmoins publier leurs indicateurs, remédier à ces écarts et publier des objectifs de progression pour les indicateurs pour lesquels la note maximale n’a pas été obtenue.
Cela implique une harmonisation des pratiques RH pour éviter des disparités entre les sociétés membres.
Les sociétés doivent aligner leurs politiques de rémunération, promotions, et augmentations pour garantir un score global satisfaisant. Cela peut être complexe pour des entités ayant des pratiques historiques différentes.
7) Quelles sont les règles du licenciement économique dans une UES ?
• Obligation de PSE à l’échelle de l’UES :
• Si la décision de licenciement économique est prise au niveau de l’UES, les seuils et conditions pour établir un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) s’apprécient à l’échelle de l’UES, et non uniquement au niveau de la société employeur ;
• Toutefois, si l’UES a été reconnue par jugement sans exécution provisoire et fait l’objet d’un appel, le PSE est évalué au niveau de la société employeur uniquement (Cour de cassation, 28 septembre 2022, n° 21-19.092).
• Reconnaissance par le Conseil d’État :
• Un PSE peut être mis en place au niveau de l’UES si celle-ci est reconnue (Conseil d’Etat, 13 février 2019, n° 404556) ;
• Un accord majoritaire définissant le contenu d’un PSE peut également être conclu à ce niveau (Conseil d’Etat, 2 mars 2022, n° 438136).
• Absence d’accord collectif : En l’absence d’accord ou si celui-ci est incomplet, la Dreets doit examiner les moyens de l’UES, en plus de ceux de l’entreprise ou du groupe concerné, pour homologuer le document de PSE (Article L1233-57-3 du Code du travail) ;
• Ruptures conventionnelles économiques : Les obligations d’information et de consultation ainsi que les critères de PSE prennent en compte l’ensemble des ruptures économiques dans le cadre d’un projet global de réduction des effectifs au sein de l’UES.
8) Quel est le rôle du CSE dans une Unité Economique et Sociale (UES) ?
Le CSE joue un rôle central dans la représentation des salariés au sein d'une UES. Ses principales missions et responsabilités sont adaptées au contexte spécifique de l’UES :
1. Dialogue social
• Consultations et informations :
• Le CSE est consulté sur les projets communs affectant les salariés de l’UES (ex. : réorganisation, introduction de nouvelles technologies, transferts d’activités) ;
• Il reçoit des informations économiques, financières, et sociales consolidées au niveau de l’UES.
• Négociations collectives :
• Le CSE peut participer aux négociations avec les employeurs sur des accords collectifs couvrant l’ensemble de l’UES (ex : égalité professionnelle, conditions de travail, intéressement)…
2. Gestion des activités sociales et culturelles
• Les activités sociales et culturelles (ASC) sont gérées de manière unifiée au niveau de l’UES par le CSE central, ce qui permet une harmonisation des avantages offerts aux salariés, quel que soit leur entité d’appartenance.
3. Rôle dans les procédures de licenciements économiques
• En cas de Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE), le CSE est consulté pour :
• Évaluer l’impact des licenciements sur l’ensemble des entités de l’UES ;
• Proposer des alternatives pour limiter les suppressions de postes ;
• Donner un avis sur les mesures de reclassement proposées au sein de l’UES.
4. Protection des représentants
• Les élus du CSE bénéficient d'une protection contre le licenciement. Cette protection s’applique à l’échelle de l’UES, ce qui renforce leur sécurité dans l'exercice de leurs mandats.
5. Coordination avec les autres Institutions Représentatives du Personnel
• Le CSE est souvent l’interlocuteur principal dans l’UES, mais il peut coexister avec des représentants syndicaux ou des comités spécifiques (ex : délégués syndicaux d’établissement) ;
• Le CSE central peut jouer un rôle de coordination entre les différentes entités.
Bien que le CSE agisse pour l’ensemble des salariés, chaque entité de l’UES reste une personne juridique distincte. Cela peut compliquer certaines consultations ou décisions.
Le CSE travaille donc à uniformiser les pratiques entre les différentes entités de l’UES.
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